mardi 18 juin 2013

Adoption .




Saint Marc du Catalois est un petit village qui vit de ses coutumes et habitudes à peine changées depuis des lustres. Chacun y trouve son compte et ceux, peu gâtés par la vie, une raison suffisante de continuer leur existence.

A la terrasse du café du commerce après la messe se retrouvent sous les parasols dans un joyeux brouhaha familles et amis.

Là, à l’heure de l’apéritif, on oublie les petits et grands soucis du quotidien dans une ambiance qui ressemble à de la fraternité.
Le muscadet y est pour beaucoup.

De dimanche en dimanche on se rencontre dans le rythme flâneur des jours fériés où on à l’impression que les heures ont mué en un long espace de temps, sans presse et sans danger.

Même si,  au milieu des personnes endimanchées à l’ancienne, certaines barbes qui ne sont pas rasées et des jeans déchirés sont encore une volonté d'anarchique coquetterie.

C'est l'occasion d’une table à l’autre de commenter, avec plus ou moins  d’enthousiasme et de bonne foi, les événements marquants du village.

Aujourd’hui une  vaste tablée attire regards et remarques.

On savait que Jeanne et Charles  Montguillon avaient adopté une petite fille. A part les proches personne ne l’avait encore vue avant ce jour de  baptême avec toute la famille réunie.

On savait aussi le pourquoi de la chose et certains s’étaient demandé d’où provenait la stérilité de ce couple si désireux de fonder une famille ; de cette Jeanne si maigre ou de ce Charles peut être impuissant ? 
Les gens sont bêtes.

Les Montguillon avaient déserté le village quelques temps et le bruit avait couru, compatissant ou narquois,  "qu’ils étaient allés adopter" comme on aurait dit qu’ils étaient allés à la pêche ou au super marché.

Passant de bras en bras autour des guéridons rassemblés une petite fille  de trois ou quatre ans ouvre sur ce monde bruyant inconnu de grands yeux liquides.

Elle est noire, d’un noir d’ébène qui s’oppose avec violence au tourbillon chantilly de dentelle blanche et aux souliers vernis immaculés dont la petite essaye  de se débarrasser à coups de talons rageurs.

Passé un certain ahurissement :

- Quelle est mignonne, et comment s’appelle-t-elle ?
-Rose ? comme votre pauvre maman, que c’est joli et quelle charmante attention. Un sourire narquois sur certains visages ; elle va s’amuser à l’école avec un prénom pareil.

Les Montguillon tout attendris devant leur petite merveille qui porte un prénom  enfin compréhensible et fait partie  maintenant du troupeau du Seigneur, la couvrent de baisers .

La petite essuie chaque fois ses joues de la paume rose de ses mains graciles.

Les Montguillon racontent avec force détails  "le parcours du combattant de l’adoption", le futur bonheur de leur famille, l’avenir  radieux qu’ils ont prévu pour l’enfant et sont félicités de leur générosité comme s’ils avaient sauvé la moitié de l’Afrique.

Les apéritifs circulent et le curé venu se joindre à ses ouailles n’est pas le dernier à trinquer  au sauvetage de cette âme que certains des villageois ne sont pas loin de croire différente de la leur.

Un mois de juin à Saint Marc c’est bien frais par rapport à Treichville, la petite tremble, affolée de surcroît par cette agitation dont elle est le centre, ce langage de mots gutturaux qu’elle ne comprend pas et cette affreuse odeur de blancs qui assaillent ses narines délicates. Ces gens bruyants ont l’air gentil comme son "papa " et sa  "maman" blancs, mais si différents de Awa. Awa qui ne mangeait pas tous les jours et la tenait bien serrée contre ses reins dans un vaste tissu , la faisant participer à  tous les gestes de sa vie  que la petite sentait battre à travers les cotonnades. Elle savait beaucoup de l’existence par cet apprentissage corporel et l’enseignement de l’exemple. Ici il faudrait tout réapprendre et oublier le doux et odorant contact de Awa.

A cette pensée les larmes coulent sans bruit sur le petit visage crispé. Les adultes, qui l'ont un peu oubliée, continuent leur discussion animée.
Une petite fille, Nadia aux belles joues rondes, a perçu cette détresse, elle s’avance vers la petite, lui prend la main , sans un mot, avec un sourire.
Allons ; tout est possible.




7 commentaires:

  1. On ne devrait jamais grandir...

    Bizz, Manouche.

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  2. Deux petites contre la bêtise! Un conte bien trop réel!

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  3. Ben, ça va pas... de me faire chialer quand je viens juste de me faire les yeux!!!

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  4. moi, tout pareil à almanach.

    Bises

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  5. Une histoire bien émouvante. L'adoption, c'est pas évident !

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  6. Belle histoire,
    histoire d'amour,
    D'amour un peu égoiste,
    mais la vie de Rose sera-t-elle rose?
    Dans le monde étrange où elle est accueillie trouvera-t-elle des points de repères pour s'identifier?
    Croisera-t-elle beaucoup de Nadia? Manouche, tu devrais donner une suite à cette histoire.
    BELLEMICHE

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