vendredi 28 juin 2013

La médaille.



 




J’ai trouvé cette très ancienne médaille, un peu cabossée, entre les pages d’un livre endormi dans la poussière du grenier.
Le livre c’est « Les Misérables » de Victor Hugo, dans cette édition à la couverture de carton toilé, rouge à dorures, comme les bons élèves en recevaient à la distribution des prix.
La médaille est si légère qu’elle est restée littéralement collée entre deux des pages du tendre papier chiffon. Elle ne pèse rien, semble découpée à petits crans artistiques dans la plus fine des lamelles possibles du précieux métal. Sur une face la Sainte Vierge en majesté présente ses mains généreusement ouvertes. De l’autre côté, des initiales artistiquement entrelacées, illisibles. Peut être des prénoms surannés, élégants, Diane ou Aurore... suivis de patronymes prestigieux…

J'aime imaginer un épisode de la longue vie de ce modeste bijou :

-  Lucette pour ta communion, en ce grand jour pour toi, monsieur le curé l’a bien dit, le plus important de ta vie, je t’offre cette médaille  protectrice de la Vierge. Elle n’est pas neuve, ma pauvre chérie je n’ai pu que l’acheter d’occasion. Par ces temps de guerre je ne pourrai pas t’offrir la jolie fête que nous souhaitions, d’ailleurs avec ton père au front qui en aurait envie ? Anaïs Buisson, (M. Buisson l’ancien directeur de ton père me demande souvent de ses nouvelles) qui fait sa communion avec toi t’invite au goûter de cette fête. Anaïs portera sans doute une superbe médaille en or massif, sans rien autour du cou tu aurais eu l’air d’une pauvresse.
- Maman, cela m’est égal, Anaïs est une chic fille et son amitié ne se mesure pas en carats ! Mais je te remercie pour cette médaille qui me plait beaucoup.
Menteuse !
Le Bon Dieu barbu, le Petit Jésus sur la croix, la Sainte Vierge immaculée, elle n’y croit plus du haut de ses onze ans muris par une enfance de guerre avec sa cohorte de malheurs que même les plus jeunes ne pouvaient ignorer. On parlait devant les enfants des soldats morts au champ d’honneur, on ne leur cachait rien du retour des grands blessés, brûlés, estropiés, et des drames des familles meurtries.
Sa mère élevée en temps de paix, dans une relative aisance et une certaine quiétude aurait été horrifiée si elle avait pu se douter de l’athéisme de la petite.
Docile, elle continuait, dans le cercle de toutes les femmes de la famille à réciter les prières tout en tricotant « les mitaines pour nos héros », s’écorchant les doigts avec la rêche laine kaki.
Aujourd’hui c’est donc cette fameuse communion dite solennelle. Lucette est trop grande pour son âge, on a du ajouter un corselet de satin à la taille de la robe en dentelle blanche prêtée par sa cousine, un gentil pot à tabac d’un an son ainée. On dirait une mariée filiforme. Elle a conscience du ridicule de sa jeune personne ainsi attifée et, à ses yeux, de l’ensemble de la cérémonie.
Et cette médaille !
Au moment de partir pour l’église, avant de mettre ce frêle bijou chargé d’histoire, elle décide de le débosseler un peu pour lui rendre une allure plus digne.
Lucette court dans l’atelier, choisit un léger marteau de tapissier, les larmes aux yeux au souvenir de son père le maniant  en sifflotant, penché sur son ouvrage…
Elle pose la médaille sur le vieux banc du jardin qui se chauffe au soleil de cette belle matinée.
En levant son bras armé elle s’étonne que d’effrayants nuages lourds s’amoncellent  tout à coup dans le ciel si bleu quelques instants auparavant.
Pan !  Le marteau retombe.
Le ciel éclate et la foudre caramélise avec le banc un grand pan de dentelle blanche.
La médaille, intacte, étincelle sous la lumière revenue.



                    

8 commentaires:

  1. c'est la punition du ciel! Moi je suis comme Lucette. Je n'aime pas trop les médailles.

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  2. Quel beau cadeau!
    Une médaille entre les pages d'un livre et des souvenirs qui remontent... La robe de communion rallongée, tu ne l'as pas inventée???
    Du coup, tiens... il me revient que la mienne a été faite de celles de ma mère et ma tante mises bout à bout... J'avais double dose de dentelles et de mousselines alors qu'on commençait à porter des aubes plus démocratiques et aussi beaucoup plus moches... Et comme ma paroisse était la cathédrale, les familles bourgeoises de Nancy me regardaient de travers: une si belle robe pour la fille de la modiste!!! Non mais... je vous demande un peu...
    On a déménagé pour Paris peu de temps après...

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  3. Parfois, on trouve des gemmes dans les livres de la bibliothèque. J'ai aimé cette histoire que t´ a inspiré cet trouvage.

    Bisous

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  4. Les ojets nous racontent le passé. Que ce soit explicite ou rêver, il nous rattachent toujours à un événement ou une personne, même imaginaire...

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  5. Trois fois que je remets ce billet qui s'efface ainsi que les commentaires.
    Ai-je fâché le ciel ?
    Je ne sais plus à quel saint me vouer!

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  6. Tu amas a los libros,yo también,pero amo más a mis fantasias
    Un fuerte abrazo

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  7. jolie histoire
    j'aime ces objets dénichés qui nous parlent tant!
    c'est comme ma Madeleine, retrouvée cachée dans une malle

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