jeudi 19 juin 2014

Crime d’un commis voyageur



Que faire du corps ? 

Ce matin quand je suis parti au travail  Line était triste. Peut- être le manque de nouvelles ? Comme toujours ravissante dans son déshabillé, cette chose rose, légère et transparente qui mérite bien son nom. Elle émiettait une biscotte le regard vide errant sur la nappe de son portable silencieux à la tasse de thé en fine porcelaine de Limoges, un petit cadeau. Je voyage beaucoup, c’est ma fonction et chaque fois je ramène  à Line un petit souvenir. A Line, ma Câline ma femme. Si belle, si intelligente, le seul mais combien merveilleux cadeau que m’ait fait la vie. En sortant de la maison sous le soleil de juin déjà chaud qui illumine les feuillages vibrants de la grande avenue, je pense que c’est sans doute exceptionnel au bout de tant d’années de mariage d’être aussi amoureux, amoureux à en être fou.

Dans le garage, ma voiture de fonction est remplie dans tout l’espace passager de cartons façon bois contenant les jeux complets de couteaux de la grande fabrique que je représente.

Évidemment  que je ne l’ai pas tué avec un de ces couteaux de cuisine qu’ils contiennent, le cas échéant il m’aurait trahi. Non, je l’ai étranglé, facilement, avec la cordelière de sa robe de chambre. Je ne pense pas que cela s’appelle un déshabillé pour un homme, cette chose soyeuse bariolée que portent les vils séducteurs dans les séries américaines. Déshabillé--- déshabillés combien de fois l’ont-ils fait, chez lui, chez nous ?

- Bonjour André il y a longtemps que je ne suis venu vous rendre visite ?

Sur le trottoir de « La belle Auberge » à la façade célèbre croulant sous une glycine odorante, le ventre avantageux corseté de trois tours d’un tablier immaculé, André D… le célèbre chef étoilé vérifie les menus installés dans un grand cadre doré.

- Te voilà petit, toujours chez « Lag… » ?  Tu connais bien ton boulot parce que justement j’allais t’appeler, ça s’use les couteaux, ça s’use. Allez, entre on va s’en jeter un derrière la cravate.

Je vais garer ma voiture à l’ombre, il commence à faire chaud et je pense à l’autre dans le coffre.

La grande salle est fraîche. Les tables d’un blanc lumineux dans la pénombre sont déjà dressées, argenterie et cristaux, pour le repas de midi.

- Je suis contente de vous voir s’exclame madame D…en me sautant au cou dans un tintement or et perles. Venez dans la cuisine, Eric me disait justement que le grand couteau à découper les viandes était complètement usé.

 Sur l’étal, dans un coin de la cuisine aseptisée, carrelée de blanc, le commis, tourne,  retourne une grande pièce de veau, détachant un grand morceau de chair à chaque mouvement d’une experte main sanglante.

Pourquoi est-ce que je pense à une morgue ?----  Ce découpage, je ne pourrais jamais.

-ça  ne va pas, vous êtes tout blanc ? Je repousse l’invitation de rester déjeuner au prétexte d’un autre rendez-vous. Les D… sont étonnés ils viennent de me prendre  toute la « Série de couteaux professionnels haut de gamme » de quoi suffire en chiffre d’affaires de ventes pour toute la semaine. Ils doivent penser que je fais de l’excès de zèle.

C’est vrai que je veux faire un autre arrêt, non professionnel celui-là. Je débraye un peu sec et ça fait ploc dans la malle. Il ne se laisse pas oublier, le salaud.

La famille dite d’accueil où j’ai passé mon enfance orpheline, vit  sur la départementale non loin de « La Belle Auberge », je n’y suis pas revenu depuis ma majorité. Je sens confusément que quelque chose de plus que la proximité sur ma route me pousse à la revoir…

Dans la cour, béton et gravier, un gamin d’une dizaine d’années, une cuvette sur les genoux écosse des petits pois. Il lève sur moi un regard aussi triste que devait être le mien.

Ils sont là tous les deux dans la cuisine qui sent l’eau de javel. Pour être propre c’est propre. Ils sont étonnés, me reconnaissent à regret, sans aucun mouvement de sympathie, avec la même froideur que j’avais connue dans mon enfance et qui m’avait laissé une terrible faim d’amour. Leur seule réaction est la méfiance :

- Qu’est-ce que tu veux ?----- Comment comprendraient-ils ce que je venais chercher même si c’était sans trop y croire. Je retraverse la cour sans que le gamin lève la tête de sa bassine de cosses.

Je bifurque dans un chemin creux et m’affale en larmes sur le volant. Line doit être à table. Elle est très bonne cuisinière. Elle disait que rester à la maison et  s’occuper de moi suffisait à son bonheur. Qu’est-ce que c’est que le bonheur ? Je pensais être heureux. Et puis, voilà. 
On doit commencer à s’inquiéter de voir encore fermés les volets du pavillon de notre voisin : « Ce riche écrivain, charmant célibataire, très aimé  dans le village »…

Il a fait de ma Line une femme infidèle et de moi un assassin.

Mais que vais- je faire du corps ?


13 commentaires:

  1. Mais pourquoi il l'a pas laissé sur place, ce con? Crime de rôdeur et lui insoupçonnable parce que justement, il aurait pu se servir des couteaux et le mec a été étranglé... Maintenant, il est fait comme un rat...
    Les assassins, même occasionnels, ne lisent pas assez Agatha Christie...
    Ah, la la!!!

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    1. Hercule Poirot sors de ce corps !

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    2. Non, moi c'est miss Marple; j'ai pas de moustache!

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  2. Drame de la jalousie ! A quoi ça mène l'amour( ou la possession) !

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  3. Genial. Merci pour votre visite !! ;-)

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  4. Waouh!!!! C'est toi qui as écrit ça Manouche ?! J'adore et j'attends la suite... Tu ne peux quand même pas t'arrêter là.... Ou alors il faut absolument nous écrire une autre nouvelle du même acabit....
    J'espère ne pas rater la suite s'il y en a une. Je vais m'absenter plusieurs jours et je ne sais pas du tout si je pourrai avoir une connexion (ou même le temps de me balader sur le net)
    Bonne fin de journée à toi :-)

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  5. Agatha Christie c'est parfait mais ça manque de vécu.
    Pour parler de crimes elle manque d'expérience. A-t-elle tué pour savoir ce qui se passe dans la tête d'un assassin ?

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    1. Je manque aussi cruellement d'expérience...mais je n'ai pas dit mon dernier mot !

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    2. Il ne te reste qu'à affuter tes armes... et à choisir une victime.

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  6. Bonjour, manouche.

    Vos œuvres sont embrassés dans votre douceur.
    Et doux messages charmes mon coeur.

    La prière pour tous la paix.
    Je vous souhaite tout le meilleur.

    Passez une bonne journée. Du Japon, ruma ❀

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  7. Damned ! Tu as commencé le 4ème sans nous ?

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  8. La vengeance est un plat qui se mange froid. Line aimera probablement une tranche de rôti froid avec bien sûr du cornichon.

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  9. Il aurait pu penser au pendu... laisser croire à un suicide??
    Bizz, Manu

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