lundi 21 juillet 2014

Conversation-15- avec Cora




- Viens vite, ma chérie. J’ai pensé à toi depuis ta dernière visite et retrouvé par miracle « l’autre » photo que j’avais avec mes « amoureux ». Tu voulais que je te parle de l’amour il y a presque un siècle, je vais le faire rien que pour te faire rire. Tu vois un peu ces trois nigauds raides comme des piquets se tenant à bout de bras tout confus d’être si nus et si proches !




- Vous n’avez pas été gâtés il est vrai que Photoshop n’existait pas encore !

-  C’était le lendemain de la remise du diplôme et nos parents avaient offert à leurs vaillants boursiers, une journée à la mer … en leur compagnie. C’étaient de braves gens venant de milieux pauvres, heureux que par leur propre  travail leurs enfants aient la possibilité de « s’élever dans l’échelle sociale ».

- Mais Cora vous portiez un bikini ce n’était pas déjà la mode !

- Tu as parfaitement raison. On avait vu les premiers dans les films américains aux filles excitantes paradoxalement  dans de pudiques scénarios. On ne trouvait pas encore en magasin ce type de maillot deux pièces. Celui-là je l’avais dessiné sur papier et fabriqué avec une vieille robe en coton. A la piscine, à la plage, on portait des maillots une pièce en tissus épais. Au sortir de l’eau ces maillots étaient très lourds et te faisaient un cataplasme glacé sur l’estomac. J’avais eu la chance qu’un des volets de la peur de mes parents fût que  je puisse me noyer, on m’avait donc appris à nager, strictement à fins utilitaire. Mais voilà, j’aimais cela, nager.

- Mais vous pouviez vous sécher au soleil.

- La folie des bains de soleil de masse n’est arrivée qu’à la seconde moitié du vingtième siècle. Avant l’exposition était considérée comme dangereuse…puis tout à coup on a profité du soleil avec un plaisir tout nouveau, il fallait que les peaux soient caramélisées, sans précaution ni limite.

- Cora, je veux bien que vous me parliez des baignades mais c’était  « l’amour » le sujet de notre conversation et vous me paraissez réticente…

- C’est possible que je sois encore sous l’empire des tabous qui ont paralysé nos plus belles années. Qu’est-ce-que nous savions de l’amour physique ? Rien. L’étude du corps humain était complètement chaste et ne parlons pas de son fonctionnement dans ce domaine ! Il n’était pas question de discuter avec ses parents de ces sujets gênants. Par contre on voyait bien les résultats de l’accouplement, inévitables à cette époque où il n’y avait aucun moyen de contraception. Nous ne connaissions de notre corps  que le strict nécessaire dévoilé par des manifestations externes  et dont on ne parlait pas. On disait alors « les parties honteuses ». Quand j’avais eu l’audace de demander quelques renseignements à ma mère elle était devenue toute rouge : « tu es étudiante et tu dois en savoir plus que moi ». Point final !

- On peut aussi comprendre pourquoi on parlait souvent de « l’accomplissement du devoir conjugal ». Il n’était pas sans risque.

- J’avais été particulièrement frappée par les quatre interruptions  médicales de grossesse subies par ma mère. Elle avait une grave  maladie de cœur. J’avais toujours l’impression de porter la lourde charge d’être l’aînée de quatre fausses- couches !… Il n’y avait alors qu’un seul remède : l’abstinence.

Autour de moi trois espèces de filles : les « faciles »  transformées souvent en filles-mères qui vivaient leur liberté à leurs risques et périls, plus ou moins rejetées par la société. Parfois victimes  à vie d’avortements artisanaux. « Les mariées  trop jeunes » pour réparer un « accident » à la vie souvent définitivement gâchée. Restaient celles qui se mariaient vierges. Mon père m’avait avertie « si tu reviens à la maison enceinte, je te recueillerais avec le bébé, mais tu ne serais plus jamais ma fille »  Je me souviens encore de l’effet glacial de cette prise de position.

- Mais vous deviez flirter quand même ?

- Pour ne pas tomber dans la spirale fatale il était conseillé de ne pas commencer des relations avec des garçons même par quelque manifestation innocente. Trop sourire était « aguicheur » et « on savait où ça allait mener ». D’ailleurs on s’embrassait très peu et le matin à l’université personne  ne se livrait comme maintenant  à des rafales de bisous…

Cette photo dit tout cela.
Les mots « amour » surtout « faire l’amour » n’étaient jamais prononcés. Nous avions entre dix-huit et vingt ans et ces deux garçons devaient être aussi frustrés que moi. Cependant les parents de garçons étaient plus décontractés :  « je lâche mes coqs, gardez vos poules ». Enfin pour les hommes il y avait le recours à des femmes mariées ou à des péripatéticiennes, mais nous… Une seule issue, le mariage, qui aurait lieu en  un blanc symbolique avec un homme dont on n’aurait aucune idée de la morphologie intime ni de ses besoins. Il n’était même pas question des nôtres !

 Heureusement c’était l’époque  où la joie d’être enfin en paix s’exprimait dans une multitude de bals en tous genres. C’était la seule occasion de se trouver dans les bras d’un garçon. Pour moi c’était merveilleux, collée contre un corps chaud et vibrant dans un tango passionné. J’ai beaucoup dansé…

- C’était quand même bien maigre comme satisfaction et vous deviez rester sur votre faim.

- Pour celles qui  s’éprenaient d’un étudiant il fallait attendre qu’il soit en mesure d’assumer une famille. D’où de longues et pures fiançailles avec la conscience cruelle que le  meilleur de la jeunesse était à  jamais perdu. Mais on nous assurait à cette à époque bénie d’après guerre que nous avions un bel avenir et que notre vie  serait longue. Quel optimisme !  Tiens je pique une colère rétrospective devant tant de bêtise

 Rien de rien on savait ! Et les trois benêts de la  photo illustrent parfaitement cette époque idiote d’ignorance totale sur le sexe, son importance, l’art et la manière de s’en servir !

- Mais vous étiez amoureuse quand même ?

- Bien sûr. Nous étions les championnes de « l’amour platonique ». Il fallait bien « fixer » tous nos élans et  nous avions des passions  partiellement libératoires, aussi délirantes qu’inoffensives. Chez moi les attachements passionnés allaient de Georges Marshall et Jean Louis Barrault à Einstein et au Dalaï Lama !! On étudiait, on brodait, on faisait de la musique, de la danse, un peu de sport ( pas trop d’extravagances, les filles) ! On lisait des romans essayant de neutraliser nos hormones exigeantes dans un délire d’activités compensatoires. Tout cela dans l’attente de la « révélation ». Celle d’un accomplissement rêvé, trop rêvé. Chez celles qui ne restaient pas définitivement vielles filles, le mariage apportait pour beaucoup de cruelles déceptions. Heureusement, oui heureusement pour cet état de fait, le divorce était très rare et on « s’accommodait » sagement… ou pas, gardant pour soi la douleur du fiasco.

- Dites-donc Cora vos souvenirs ne sont pas très gais.

- Au contraire, Petite. Finalement nous avions de longues adolescences irresponsables et après, parfois, de  belles surprises...Je me réjouis de l’évolution des mœurs et de leur libération.  Je ne suis pas de ceux qui pensent que tout est maintenant parfait dans le domaine de l’amour mais vous êtes renseignés, avertis, libérés, protégés et je veux l’espérer maitres de votre destin. Je  sais que la condition féminine peut encore  beaucoup s’améliorer mais ce que je  t’ai raconté peut te donner une idée des progrès accomplis. A cette époque de suprématie masculine où « ce sont les femmes qui font et défont les ménages » où leur corps  ne leur appartenait pas, où on venait tout récemment d’en faire des citoyennes en leur accordant le droit de vote… .

Tous ces changements j’ai eu, par chance, le temps d’en profiter dans le courant de  ma longue vie.

 J’ai aimé, j’ai été aimée et j’ai donné le jour à trois merveilleux enfants.

- Je parie que vous êtes encore amoureuse, n’est-ce pas ma chère Cora ?

-Quelle curieuse ! Maintenant, ma boucle est bouclée. Je suis arrivée à cette dernière étape de ma vie où seuls palpitent encore avec les souvenirs  des rêves, mais des rêves  très tendres.

Si tu veux tout savoir même si le corps n ‘est plus que ruine un cœur n’est jamais desséché.

Mais  ne perds pas ton temps avec moi, ton amoureux t’attend.




12 commentaires:

  1. La cultura és uno de l,os motores que nos puede ayudar a ser un poco más libre,aunque siempre estaremos atados

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  2. Il est vrai que le temps peut nous rider le corps, mais pas le coeur...
    ;)

    Bizz, Manou.

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  3. C' était à quelle époque, les années 60, 70?
    Cela sent vraiment son vécu!
    Émouvant.

    " Enfin pour les hommes il y avait le recours à des femmes mariées ou à des péripatéticiennes," il y avait des solutions pour les femmes aussi, non?

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    1. D'après Cora et sa mémoire infaillible il s'agirait des années 45-50.
      Merci de ta visite.

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  4. rien ne se dessèche en toi manou, juste, ça s'adoucit
    bizzz

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  5. J'aime toujours bien passer un peu de temps avec Cora, je n'ai vraiment pas l'impression de perdre mon temps.
    Le temps étant passé, je me permets de lui faire une bise.

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  6. Olá amiga, passei por aqui para desejar-lhe uma abençoada semana.
    Doce abraço Marie.

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  7. Yo no tuve ni juventud; ya nací mayor y con cara de avinagrado.

    Besos.

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