Chapitre 1.
Le Vieux me tient par la main et nous sommes tous les deux dans une file de couples identiques. Je vois au visage des petites tailles que ce sont les enfants des hautes tailles. Tous très laids il y a des petits, des guerriers et des Vieux, beaucoup de Vieux… ce doit être un pays de Sages. Comme ces adultes sont grands ! Je dois lever ma tête tant que je peux pour rencontrer leur regard… très étonné et craintif .Pourtant je leur arrive à peu près à la ceinture et moi, courageux guerrier, je n’ai pas peur !
Nous entrons dans la maison commune en même temps qu’un bruit terrible, comme un orage.
Le Vieux m’a fait cacher mon étui pénien avec un tissu à deux jambes et mis sur les épaules un châle de femme. Les femmes on les reconnait à leurs pagnes qui les couvrent entièrement mais surtout à ce qu’elles ont sur la tête un nid de paille avec des fleurs séchées et quelquefois des oiseaux morts. Nous sommes tous assis maintenant et justement l’odeur de mort de tous ces corps blancs commence à me gêner.
Au dessus de nos têtes, haut comme un baobab il y a un ciel très bleu avec des étoiles jaunes qui luisent.
Du jaune luisant il y en a partout, sur les murs et sur les statues en bois des ancêtres debout dans de petites niches. Il y en a un, percé de nombreuses flèches, moi, une trempée dans le curare m’aurait suffi pour l’envoyer dans le Grand Tout ! Le vent dans les gros tuyaux recommence à rugir, le Vieux me fait lever et au loin, de derrière un rideau rouge entre le chaman. Il a sur lui toutes ses étoffes sanglantes et un grigri autour du cou, à ses côtés un sorcier en noir porte un totem de bois sculpté d’un homme nu torturé... Ils sont précédés de petits garçons tout rouges ; ce doit être une cérémonie d’initiation. L’un balance un pot qui fume sans flamme avec l’odeur qui endort la douleur. L’autre claque des bâtons qui font lever ou asseoir. Puis ils dansent devant la table du sacrifice en promenant de tous les côtés la boîte à tradition. Le chaman a perdu sa coiffure et les garçons la cherchent, souvent à genoux, pour implorer sa pitié. Le chaman, de dos, monte et descend les marches les bras levés pour prier les dieux en marmonnant les paroles rituelles.
Tout à coup il se retourne avec dans les mains une calebasse qui brille, les toubabs s’avancent un par un et mangent le minuscule morceau de galette que le chaman leur a donné... Nourrir tout un village avec si peu : ce chaman est vraiment très fort !
Chapitre2.
-«Ite, missa est »
-Ah ! Mon vénéré diocésain vais-je m’acquitter de la difficile mission que vous m’avez confiée ?
Je bénis mes ouailles qui se dirigent vers la sortie en me demandant comment faire entrer cette âme nouvelle dans la maison du Seigneur ? A t-il une âme seulement, enfin… comme la nôtre, ce sauvage adulte aux mœurs surement dépravées .Il ne parle pas notre langue, comment lui expliquer ce à quoi il s’engage ?
Je m’avance vers lui avec une lenteur solennelle propre à l’impressionner…Il se serre contre Mr Enavantoute, ce paroissien d’élite qui sera son parrain, avec un geste bizarre comme pour bander un arc. Mr Enavantoute a passé sa vie en Centre Afrique, il a été un père pour les misérables indigènes. Si il a déplacé les pygmées pour les raisons hautement civilisatrices de ses industries il leur a construit des H.L.M en boue solide, appris l’usage du savon et du chapelet les faisant passer, quel progrès, de l’anthropophagie à l’alimentation au corned- beef.
Retraité il s’est mis en tête d’adopter celui-ci. Quelle idée !
Ce petit monstre qui pue le fauve je dois le baptiser ! On m’a bien fait comprendre qu’il n’était pas question de contrarier le plus généreux donateur du diocèse.
Sa face horrible arrive à peine à la hauteur du baptistère ! En plus il a l’air nerveux, et nez à nez avec l’enfant de chœur il lui jette des regards assassins ! Mon Dieu aidez –moi !
-Mr Enavantoute veuillez élever votre filleul jusqu’à la vasque ; je vais dire les prières pendant que vous lui plongerez la tête dans l’eau bénite.
Le négro est parcouru de tics violents dus sans doute à ce qu’il réalise le merveilleux tournant que va prendre sa vie.
Plouf dans l’eau fraîche !
Des hurlements font vibrer les vitraux …ah ! Le démon ! Pardon Jésus Marie Joseph !
Ruisselant le petit animal crie à pleins poumons.
-Je te baptise Lucien.
L’énergumène profère de grossiers sons inarticulés. Mr Enavantoute m’assure que ce sont, dans son patois, des remerciements émus.
Mon Dieu, pardonnez-moi, mais j’ai bien besoin d’une rasade de vin de messe.
allez, bizz bizz bizz
RépondreSupprimeré u cop dé mas ( charrabia de patois )
avant d'autres rasades moins catholiques à la charcuterie !