samedi 7 janvier 2012

Relire. Nabokov.


Expérience enrichissante : relire Nabokov à différentes époques de la vie, après certaines étapes ou, hélas, traumatismes divers. Il faudrait aussi pouvoir changer de sexe pour avoir un autre point de vue…mais cela n’est pas en général à la portée du lecteur de base.
Reprendre les textes flamboyants à travers ces prismes variés pour essayer, sans doute en vain, d’en saisir toutes les nuances colorées et les musicalités subtiles.
« Lolita » a fait scandale, comment aurait-il pu en être autrement de ce récit de pédophilie, d’inceste et d’assassinat... Le secret actuellement souvent levé et les enfants victimes écoutés et secourus n’inclinent pas à l’indulgence à postériori, pour cet amateur de nymphettes.
Mais sommes-nous là, attentifs à ces lignes magnifiques, pour juger ; et juger qui ?
Le « récitant »objectif qui double le héros dans les passages trop délicats, semble le craindre qui multiplie les vibrants plaidoyers. Les excuses de l’anti- héros arguant même de ses séjours en établissements psychiatriques censés l’exonérer de certaine responsabilité, ses tentatives d’explications qu’il veut empreintes de dignité, droit sorties quant au fond d’un manuel freudien, n’enlèvent rien à sa culpabilité de fait. Parfois touchant Humbert s’auto-analyse à la loupe dans une complaisante morbidité. Parfois il se fustige à d’autres moments il s’absout. La passion selon Humbert est poussée dans un paroxysme très slave ; il pratique la haine de soi avec une effroyable lucidité. Lolita , petite victime aux manœuvres , aux mensonges inopérants, est sa prisonnière sans espoir même dans sa fuite et sa nouvelle vie, comme les papillons rutilants que Nabokov lépidoptériste acharné veut admirer à jamais dans leur mort épinglée… Nous partageons à tel point la folie amoureuse d’Humbert qu’elle nous rend presque insensibles aux personnages secondaires hauts en couleur et aux descriptions pittoresques des sites, routes et motels visités dans la longue errance de l’esclavage de Lolita. Pourtant quelle richesse que ce road movie dans l’Amérique puritaine !…
Magnifiquement écrit d’une imagination effrénée, avec des passages d’un romantisme échevelé, d’autres d’une drôlerie irrésistible le texte fourmille de citations savantes des meilleurs auteurs. Si nous voulons ne voir dans ce récit dramatique qu’une fiction totalement virtuelle, un jeu paradoxal de l’esprit nous oublions le crime presque jusqu’à comprendre cet « amour », cette perversion totale, cette obsession décrits de si belle façon….
Impossible de procéder à quelque citation, l’ensemble du texte dont la complexité découle aussi de la traduction française d’un texte anglais écrit par un romancier qui pense russe ( !) vibre animé de comparaisons, d’images inédites, de traits d’humour, de métaphores élégantes…
Rarement comme dans « Lolita » le drame fondateur et la manière dont il est décrit ne se sont après mille péripéties, fondus, égalitaires dans la démesure.
La littérature n’a rien à voir avec la morale, ce chef- d’œuvre en est l’éclatante confirmation.







6 commentaires:

  1. Pour ce soir ( il est tard) juste ceci :
    Pour moi, même en art , le style et le fond ne se dissocient pas.
    On ne parle pas pour rien dire , on écrit POUR DIRE , les 2 éléments sont intimements liés et seul le sens justifie la forme.
    Un style aussi flamboyant( et nombriliste...ah ! comme Nabokov en est fier et s'en délecte!) ne peut être qu'au service d'une pensée, sinon, pour moi, c'est un beau paquet ... vide. Ainsi, si j'ai reconnu le beau travail, ça ne m'a pas émerveillée car il est au service d'une pensée glauque voire carrément criminelle .
    Il ne s'agit pas de morale mais de SENS MORAL , simplement . Pire: le beau style au service d'une pensée carrément pédophile, me dérange encore plus qu'un langage cru.
    Ma Manouche, tu sais combien je t'apprécie et t'écoute, alors je ne m'excuse pas de penser ainsi . Et je ne place pas là ma réflexion dans le contexte de ce débat de la morale dans l'art ... que je crois connaitre .
    Mais j'aime la littérature qui porte et qui grandit .. et qui aide à respirer, et à espérer et à comprendre le monde et les hommes , les poètes, les rêveurs, les utopistes.. La perversité, même parée de beaux atours et justement quand elle est ainsi fardée, me donne mal au coeur, une vraie douleur.Ce soir encore, je suis bouleversée voire en colère contre cet auteur
    Cette naïveté, je la revendique.
    Quant à l'admiration pour Nabokov, elle est certainement de bon ton , je ne la partage pas .
    je t'embrasse et je t'envie ce recul, que je n'ai pas . Les mots me frappent au coeur, me cognent. Un bouquin comme LOLITA me blesse.

    RépondreSupprimer
  2. @TZD:
    Mon amie, je ne remercie d'avoir pris sur ton temps de repos dans le déplaisir que t'a procuré cette lecture pour exposer tes arguments.Je te reçois cinq sur cinq.Peut-être le seul intéret de mon billet est-il de te permettre de purger ta juste indignation?
    Tu as parfaitement raison de citer mon "recul"...qui n'est pas toujours un avantage ,grâce à toi j'entends la sonnette d'alarme, celle qui interdit aux coeurs de se dessécher.

    RépondreSupprimer
  3. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  4. Bravo les filles,

    Je sais (et je partage) l'indignation morale, et je tiens à vous féliciter toutes deux pour la maîtrise de la plume dont vous faites part. C'est un régal de vous lire, l'une et l'autre.
    Quant à toi, Manouche, ne regrette pas trop de ne pouvoir changer de sexe, je ne suis pas sûr que tu y gagnerais (surement pas en "humanité").
    Bises partagées

    RépondreSupprimer
  5. ma manouche, je te remercie de ta réponse et toi aussi olivier, parceque je vous aime.

    RépondreSupprimer
  6. hello manouche ! je crois que nos échanges passionnés sur le sujet ont coupé le sifflet à tous les autres !!!
    bisous

    RépondreSupprimer