vendredi 26 avril 2013

Jeux permis avec H.D.



Nous aimions beaucoup jouer dans ma chambre, tous volets fermés, ma mère n'appréciait guère.
Elle ouvrait souvent la porte sans frapper, représentante de l'autorité incontestable et comme le disait mon père en cachant ses cigarettes de papier maïs, de l'absolue tyrannie domestique.
Bref, quand elle entrait elle nous trouvait  Luis et moi  rouges, ahuris, elle nous attrapait par nos mains moites et sans un effort jetait nos petits corps légers de huit années, sur le palier:
- Allez jouer dehors, sacripants !
Nous descendions au jardin, le grand jour éveillant une  honte inconnue dans la pénombre où les palpations médicales de Luis produisaient à tous deux une espèce de plaisir balbutiant sans aucune gêne...
Le jardin était entouré d'une haie vive , épaisse et pour nous très haute. Les gros troènes et autres vieux arbustes avaient, partant du tronc rugueux, des branches entrelacées sur lesquelles nous grimpions lestement. Le jeu était là beaucoup moins troublant mais plus écologique et sportif. Luis était Tarzan et moi, Jeanne. Il y avait encore, sans doute,  dans ces ébats sylvestres une petite touche d'érotisme; mais bon. Nous sautions de branche en branche  nous égratignant sans une larme, courageux et fiers dans notre jungle. J'étais soumise, admirative de ce Luis-Tarzan qui se battait pour moi contre les bêtes féroces que nous étions seuls à voir. Attiré par nos sauvages hurlements notre petit voisin Humberto sollicitait humblement la permission de se joindre à nous sachant qu'il serait le souffre-douleur. Parfois, Luis, magnanime, ne le renvoyait pas lui faisant la grâce de l'accepter en lui choisissant un rôle subalterne, porteur noir ou soldat félon ; le plus souvent c'était la guenon Chita. Humberto ravi acceptait sans piper. Il avait un an de moins que nous mais paraissait beaucoup plus jeune tant il était menu. Il était fier de raconter qu'il avait attrapé toutes les maladies infantiles en mode gravissime, manquant régulièrement l'école et que si sa mère savait qu'il jouait avec nous "à Tarzan" elle aurait très peur pour sa santé et lui offrirait au retour double ration d'huile de foie de morue. Pouah!
Nous nous amusions bien.
L'hiver suivant la famille d'Humberto a déménagé. Nous ne l'avons jamais revu.
Les années et même les décennies ont passé. Sans aucune surprise j'ai épousé Luis qui s'est révélé veule, ennuyeux et depuis qu'il est au chômage, aigri. Échoué sur le canapé du salon ( que nous allons devoir quitter faute de payer le loyer) il écluse des bières devant la télé.
Ce soir nous regardons une émission censée encourager à lutter encore les épaves comme nous: cela s'intitule "Réussir en Affaires".
Habituelle table ronde qui accueille le champion toutes catégories de l'ascension sociale qui de plus se présente athlétique, superbe, élégant.
-Merde viens voir c'est Humberto !
-Le nôtre ?    Pas possible !    je m'essuie les yeux avec mon torchon.
 Bonne mère, c'est bien notre Chita !





16 commentaires:

  1. Super !
    Tarzan est vraiment ravi de la réussite de Chita !
    bizzzzz

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  2. La música preciosa, la guitarra y el piano mis instrumentos preferidos- El relato muy hermoso y actual.

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  3. Ces jeux interdits que de fois m'y suis-je adonner avec délice ! Les mères avaient toujours les mêmes ouvertures de portes inopportunes. Mais à l'époque c'était le machin dans la main, la mains dans le machin, mais beaucoup plus rarement le machin dans le machin...

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  4. Surprise !!! Humberto est revenu !!!
    Tu racontes bien...
    BISOUS

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  5. Du bienfait de l'huile de foie de morue pour la réussite dans les affaires !!!

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  6. Cette musique de Yépès réveille en moi un tas de souvenirs en particulier celui de la petite Brigitte Fossey dont j'étais amoureux. Car cet air de guitare lancinant reste surtout le film de René Clément qui m'a ému tout enfant. "Les jeux interdits" étaient alors ceux de la mort.
    Henri5

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    1. Je n' ai laissé qu' un commentaire...
      Rien de supprimé donc!
      Problème technique avec l' anti-spam, Manouche?
      Beau dimanche!

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    2. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  8. Excellent!
    C' est comme la chanson Larirette, larirette avec la morale en conclusion...

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    1. Cher Versus simplement comme tu peux le constater tes(précieux)commentaires arrivent en double.
      Peut-être en sera-t-il de même pour tous maintenant ?

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  9. Comme dab ,je suis avec intérêt l'actualité de " tes nouvelles" Plus tes héros sont nichés en haut des arbres, plus dure est leur chute et plus leurs jeux sont " rhumatistiques" ( je n'ai pas dit "érotiques"
    ( n'importe quoi) Heureusement, il y a la musique et çà on connait!!!!!
    bellemiche

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  10. Mi querida amiga, Manouche.
    Estoy en mi país, Brasil, vine a desconectarme un poco de Buenos Aires y acabo de encontrarme con esta bella entrada. Lamento no haber llegado antes, pero como dice el dicho: más vale tarde que nunca.
    Muchas gracias, no hay cosa más emocionante que formar parte de una expresión artística.
    Eres MUY amable, estoy infinitamente agradecido.
    Un beso enorme.
    HD

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    1. O! Ché vives en mi querida Buenos Aires !! Que gusto. Tambien viaje a Brasil y me siento en mi salsa en america latina...
      Un afectuoso abrazo.

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