C'est donc ça le stade des eaux vives! Pierre machouille sa pipe au soleil matinal de ce dimanche, dubitatif devant ce composé entre le barrage de Génissiat et la centrale nucléaire de Marcoule!
Ancien athlète , sec comme un sarment de vigne Pierre est ouvert aux innovations et reconnait la beauté du parcours.
Sur ses baskets bosselées par l'arthrose il suit le fil de l'eau et se retrouve avec émotion des décennies en arrière...
Voilà après la dernière courbe en eaux agitées la perspective du château. Pierre sourit silencieusement de toutes ses rides au souvenir de son premier canoë. Il avait construit l'armature avec des lamelles souples et résistantes glanées dans la scierie de son père. Personne n'a jamais su qui avait volé les doubles rideaux en toile dure de la porte fenêtre d'entrée de l'école maternelle. Encollés et peints pour la discrétion et l'étanchéité ils glissaient libérés au fil de l'eau.
Les rives ombragées inchangées lui rappellent Fenimore Cooper et les récits d'indiens...qui lui avaient inspiré son second esquif, également fabriqué maison, un canadien, biplace assez lourd.Il invitait souvent la jolie Jany dont il était secrètement amoureux.Elle avait bien du mal dans le transport à bras au - dessus des chutes aux cailloux meutriers; mais quelle douceur que ces haltes sous les ombrages, amarrés au frais ,dans les jeux étincelants du soleil et de l'eau qui tatouaient d'ombres attirantes ses longues cuisses dorées.
Nous nous régalions de "petits beurre", de" vache qui rit" et de chocolat, ensemble dopant des sportifs fauchés.
C'était de l'eau sauvage , pleine de surprises , les branches de saule nous griffaient le visage quand le courant nous amenait près du bord, où dérivait parfois quelque carcasse peu
ragoûtante.
Quand même bien agréable de pouvoir se souvenir et de comparer. Pierre se dirige vers le départ du circuit où une bande de play aquatiquement mobils, casqués de jaune, combinaison noire écoutent le moniteur qui gesticule entre une pile de kayaks bleus et de bombard rouges.
C'est jeune et gai, esquimotages et naufrages dans les éclats de rire. Pierre n'a aucune envie d'aller rejoindre Madeleine passéiste rouspéteuse, éternelle insatisfaite du passé comme du présent.
Il décide d'aller s'amuser au spectacle du remonte pente qui offre ,sans fatigue, un nouveau tour de manège aquatique.Bientôt midi.
Pour lui la récréation est finie, grand soupir, il ne faut surtout pas oublier le pain.