Elle était persuadée avoir trouvé le secret de la jeunesse éternelle, plutôt celle de la
peau du visage féminin pendant toute la
durée d’une vie. Si elle était courte elle avait d’autant plus raison ! "Mademoiselle" Edmée Weber avait appris à
s’asseoir sans s’adosser et tenait son
petits torse osseux bien droit dans le fauteuil. En face d’elle la Petite ne
savait pas encore donner un air impassible à son minois enfantin manifestant en
ce moment un étonnement teinté de répulsion.
Elle était fascinée par les lobes exagérément troués de la
vieille créatrice de cet institut de beauté mondialement reconnu. Ce vide monstrueux
était dû a des « dormeuses » de quelques dizaines de carats,
aveuglantes, cascadant jusqu’aux
clavicules de l’octogénaire. Cette
dernière pourtant habituée aux regards des multiples publics obligatoirement rencontrés dans sa profession
était gênée par l’insistance de ce regard enfantin. C’est terrible un enfant avec sa cruelle logique critique sur laquelle
aucun argumentaire commercial n’a de prise…
La mère de la Petite assise à côté d’elle avait posé une
main rassurante sur son épaule , quand on vient en quémandeuse tout faux pas peut
s’avérer catastrophique. Jolie comme un cœur la maman .Timide mais décidée
dans sa robe visiblement fait main mais à laquelle son corps parfait donnait un
chic très personnel.
-Mademoiselle, dit elle en essayant d’assurer sa voix, je
réponds à l’annonce parue dans la presse locale demandant des démonstratrices.
Le regard aigu d’Edmée Weber qui n’a pas un mot d’encouragement ne démonte
pas Eva qui continue vaillamment, je connais, Mademoiselle, la gamme de vos
produits de beauté. Bien avant l’heure vous avez créé des crèmes à base de
produits naturels, vous pensiez aussi que la mode de la vente à domicile aurait
un regain de succès et vous avez eu
totalement raison.
- Parlez-moi de vous, lance la Weber, et dans une grimace,
mère célibataire je suppose ?
- Oui, Mademoiselle, je m’appelle Clara Lebret, j’ai trente ans
je suis divorcée et je vis seule avec ma fille, j’ai travaillé comme comptable
dans une entreprise qui a fermé, j’ai effectué un stage de reconversion dans
une compagnie d’assurances mais ils n’ont pu me garder, et la voix sourde,
maintenant je suis au chômage.
-Ho ! miracle le vieux visage s’éclaire, eh bien petite
quand on veut vendre de la beauté il faut sourire et y croire. Je tiens à voir
personnellement toutes les postulantes mais vous ne me reverrez plus. Revenez
demain matin, il y aura avec vous trois autres candidates ; une formatrice
vous mettra au courant.
Dans l’élégant living de Mme Weber une dame d’un âge certain copiée- collée de
Mme de Fontenay accueille les quatre postulantes.
- Bonjour mesdames, je suis
Marie-Angèle responsable commerciale du département, l’activité de
chacune d’entre vous s’exercera sur un quart géographique que nous allons
définir ensemble. Le briefing continue, précis, presque militaire et Clara
réalise que les coulisses d’une vente qui peut paraître frivole sont une
préparation très sérieuse.
Elles sont là toutes les quatre, belles jeunes femmes qui
apprennent avec sérieux comment on s’adresse aux clientes, comment donner envie
d’acheter, les gaffes à éviter…
Elles ont ensemble un petit cri de surprise agréable quand d’une
coquette valise fleurie Marie- Angèle sort la gamme des produits de la saison.
Les pots, les flacons d’un design parfait, aux armes « E.W » en or
mat sur fond corail sont ouverts, leur contenu éprouvé senti, pris en main ;
les futures vendeuses en oublient la
réalité admirent, comparent, s’amusent…
-N’est ce pas que c’est agréable ? Ah ! Mesdames
vous allez prendre plaisir dans cette activité tellement féminine ! Et je
suis sûre que vous saurez provoquer le désir après une démonstration qui tient
plus du salon d’esthétique que celles des boîtes plastiques Paperware… De plus
l’argument de vente est pour elles qu’elles durent toute une vie et plus, alors
que nos crèmes qui vont déclencher l’enthousiasme auront besoin d’être
renouvelées, vous devez fidéliser une clientèle et vous rendre indispensables,
nos produits étant exclusivement vendus en réunion. Pas de rivalité entre vous
mais une saine émulation.
Détendues, ravies elles essayent la tenue coquette, prennent
en mais le carnet de commandes et son ravissant stylo plaqué or « E.W »
évidemment…Marie-Angèle sert le thé dans une fine porcelaine anglaise, le bavardage
joyeux accompagne la dégustation des petits fours.
Le poids se lève de la poitrine de Clara, certes ce ne sera
pas toujours facile de susciter des réunions et de remplir le carnet de
commandes mais cette activité correspond à sa propre coquetterie oubliée ces
derniers mois… cette ambiance d’équipe lui plait, et c’est plus gai que la compta d’usine !
La Petite n’est pas avec Clara aujourd’hui elle est chez son
père et sa belle-mère, Jennifer, prénom difficile à prononcer. Qu’un homme se
laisse embobiner et quitte sa femme pour une autre, c’est une situation
courante et parfois supportable. Mais que cette femme qui ne peut avoir
d’enfant vous vole la votre cela est très dur. Clara a divorcé dans les plus
mauvaises circonstances économiques abandonnant tous ses droits pour être sure
d’avoir la garde de la Petite. Cette Petite qu’elle ne peut plus gâter comme
elle le voudrait et qui reçoit de sa belle -mère avec un amour exagéré par de
d’anciennes et présentes frustrations, tous les cadeaux imaginables. La
Petite les laisse dans la maison de
papa. C’était la maison de papa et maman La Petite est malheureuse et Clara
souffre de sa peine. Saleté de bonne femme !!!. Clara se gourmande :
il vaut mieux cela que si elle avait affaire à une mégère qui batte son enfant... mais rien n’y fait , elle souffre de jalousie
contre celle qui est à sa place dans une confortable situation et qui fait tout
pour s’attacher la Petite.
- Voilà Mesdames vous êtes armées jusqu’à la prochaine
réunion. Dans un mois nous ferons le point, je vous souhaite courage et chance,
au revoir.
Chacune part de son côté avec en main une de ces mallettes
miracle et en tête la liste des connaissances à contacter pour les premières
réunions.
Clara étrenne son enthousiasme et son assortiment odorant
lors d’une réunion organisée par sa meilleure amie vivant dans « son
secteur ». Cela se passe au mieux, entre femmes coquettes et agréables.
Quelques démonstrations de masques de crèmes anti-rides se passent à la
satisfaction des volontaires ravies de ses soins gratuits…Les accessoires de
maquillage, de très bonne qualité, déchainent des gloussements de plaisir. Le
carnet de commande se remplit et une volontaire enthousiaste propose
d’organiser une réunion à son tour. Tout
baigne. Clara prend de l’assurance dans la connaissance de ses produits, leur
argumentaire et découvre la gentillesse de ces femmes dans leur intimité
confiante. Vraiment elle les rend heureuses l’espace d’un après midi, elle
apprend de plus à réellement les embellir; quoi de plus gratifiant ?
Cette auto- formation lui permet de sélectionner les
cosmétiques avec lesquels elle opère une démonstration publique. Par contre
elle met de côté un masque d’aspect
transparent engageant et d’un parfum attirant mais sur les peaux sèches
il a tendance à être trop long à sécher et se décolle avec une difficulté
désagréable pour la cliente. Elle ne l’utilisera pas. C’est le masque
« Voile de lumière ».
Deux, trois, quatre réunions s’enchainent avec des résultats
surprenants et vraiment encourageants.
Le moral de Clara remonte sensiblement, elle gagne sa vie,
son nouveau métier l’amuse et quelle thérapie
efficace que de devoir être toujours coquette, au mieux de sa forme,
pour « donner envie » aux clientes…
La Petite a senti immédiatement cette heureuse
évolution ; quand elle revient d’une visite à son père et l’autre (Clara a
du mal à prononcer son prénom) elle court vers sa mère et lui saute au cou avec
un minois tout joyeux.
A la première réunion de travail, l’équipe départementale
été félicitée pour ses bons résultats et
Marie- Angèle qui gère les stocks a plaisanté, ravie, se plaignant de ne
pas arriver à expédier tant de colis ! La part de bénéfice de chacune est
importante et en conséquence le thé- petits fours pris dans l’allégresse.
Clara est d’autant plus heureuse que la prochaine réunion
est prévue dans le salon de la notairesse qui doit recevoir le gratin de ses connaissances,
certainement des bourgeoises nanties. Si elle arrive à les convaincre, et
maintenant elle sait à quel point cette ambiance dénuée de méfiance entre
femmes ayant les mêmes problèmes de qualité de peau, de boutons et de …poils
les rend crédules. Avant tout Clara
croit vraiment à l’efficacité de ce qu’elle propose avec talent.
La villa de la notairesse est une de ces arcachonnaises
fraiche et spacieuse. Dans le grand salon des petits guéridons sont dressés ;
boissons chaudes et froides, pyramides de macarons multicolores… Une longue
table recouverte d’une nappe damassée
sur laquelle Clara installe ses produits
le plus harmonieusement possible est disposée de telle sorte qu’on puisse en
faire le tour, toucher et comparer les textures et les parfums…. Les invitées
arrivent caquetantes et froufroutantes. Bisous, bisous…Elles sont une dizaine
d’inconnues souriantes. Tout à coup, élégantissime entre, mais oui, c’est bien
elle, Jennifer. Clara pense à toute vitesse à l’attitude qu’il convient et si
la notairesse et ses amis connaissent leur histoire…Apparemment pas, de toute
façon elles sont trop bien élevées pour montrer quelque étonnement. Par contre
Jennifer toise Clara de haut et s’installe, insolente, jouissant visiblement,
au moins aux yeux de Clara, de la différence de statut…les mains de la
démonstratrice tremblent légèrement en ouvrant les pots de cosmétiques, mais
elle se reprend courageusement et lance son argumentaire.
Comme toujours les questions pleuvent, pourquoi du
concombre, de l’amande, de l’huile d’argan ? Pourquoi la crème effet botox
est elle plus à conseiller à cette dame d’âge mur que la crème lissante et
nourrissante ?....
On en vient aux démonstrations, certaines s’approprient les
échantillons et font seules leurs découvertes d’autres demandent à être aidées.
Clara possède un minimum de gestes qui lui permettent de masser un visage et
d’appliquer comme une esthéticienne crèmes et lotions toniques.
Jennifer se fait remarquer par ses questions oiseuses à la
limite de la correction, auxquelles Clara, elle-même étonnée de son sang froid,
répond le plus aimablement possible.
- Que cette crême est agréable et la lotion nettoyante
tellement fraiche ! S’exclame une jolie blonde, j’en veux pour tout l’été.
Jennifer s’approche de la table :
-Et ce pot rose, vous ne l’avez pas employé, « Voile
de lumière », il est trop coûteux pour une démonstration ? Je veux
que vous l’ouvriez.
- Comme vous voulez, madame, mais je ne le conseille pas à
votre type de peau.
-Ça alors qui êtes -vous pour vous permettre de critiquer ma
peau, c’est pour me vexer devant ces dames ?
- Le sang de Clara commence à bouillir, pas du tout, madame,
mais ce produit n’est pas conseillé pour les peaux sèches.
-Moi, la peau sèche ! Quelle audace ! J’exige que
vous me le fassiez essayer.
Il règne maintenant dans le salon un silence tendu,
certaines sont gênées, d’autres se réjouissent avec malice de cet intermède
inattendu…
- Je répète, madame, que ce gel ne peut vous convenir.
D’un geste autoritaire Jennifer tend le pot à Clara et
penche son visage en arrière.
Tu l’auras voulu, pense Clara qui s’exécute. En évitant le
contour des yeux et des lèvres elle tartine généreusement le visage détesté, il
est pourtant bien précisé de n’étaler le produit qu’avec parcimonie et le
laisser agir un temps très court.
La séance reprend son cours et Clara « vous avez
vraiment des mains de fée » est sollicitée et donne longuement de sa personne.
De temps en temps, elle jette un coup d’œil sur le visage de Jennifer qui vire
au cramoisi :
- Mais qu’est ce que c’est ce supplice, non ne me touchez
pas, vous, incompétente et criminelle !
- Tout de même vous l’avez bien cherché vous étiez avertie…
toutes s’approchent de Jennifer qui
arrache rageusement le film durci trop séché.
- C’est un guet- appends, vous êtes toutes complices, vous
avez voulu me punir de mon bonheur, oui, de mon bonheur qui, fait tant de
jalouses... hypocrites…
Jennifer rougeaude,
bouffie, hurle, pendant que la notairesse et ses amies la contemplent ahuries,
ramasse sac et manteau et sort en claquant la porte.
-Allons, l' hôtesse calmement s’adresse à ses
amies ; oublions cet incident désagréable
qui ne doit pas pénaliser notre charmante démonstratrice, vous l’avez appréciée
ainsi que ses cosmétiques, à vos bons de commande !
Bien sûr, Clara n’est pas très fière d’elle, mais doux Jésus
quelle jubilation !!
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