Le Parisien, 25-10-2020.
"On connait le fort de Brégançon ou la Lanterne, mais pas cette villégiature nichée à 40 km de Paris qui
accueille depuis 1972 présidents et Premiers ministres. Plongé dans les coulisses de ce refuge caché
raconté par ses hôtes prestigieux.
Le domaine de Souzy-la-Briche, légué à l’État en 1972,
aujourd’hui dévolu à l’usage exclusif du Premier ministre. Abaca/JDD/Gilles Bassignac
La République ne lésine pas quand il s'agit du repos de ses dirigeants. Il y a les lieux de villégiature bien
connus du grand public, comme la résidence de Brégançon (Var) où le président se repose l'été. Aussi
celle de la Lanterne, près de Versailles (Yvelines), destination idéale pour souffler le week-end et jouer
au tennis. Mais un autre refuge, beaucoup plus secret, situé à 40 km au sud-ouest de Paris, séduit autant
qu'il intrigue par son nom bucolique : Souzy-la-Briche.
Dans ce village de 400 habitants niché au cœur de l'Essonne, la départementale 132 fait un virage sec
devant un portail encadré par deux tourelles. Bienvenue dans la plus méconnue des propriétés de l'État,
aujourd'hui dévolue à l'usage exclusif du Premier ministre. « Profites-en bien, glissa un jour Manuel
Valls à Édouard Philippe. Cela fera partie de tes regrets quand tu auras quitté Matignon. »
De l'extérieur, impossible d'entrevoir quoi que ce soit. Un haut mur d'enceinte, doublé d'une rangée
d'arbres gigantesques, dissimule une immense propriété. Elle possède un grand canal peuplé de
canards, une maison de maître avec ses dépendances, une carrière pour chevaux, des bois et des
tonnelles couvertes de roses, que fit planter le socialiste Bernard Cazeneuve.
En arrivant, l'endroit est quelque peu surprenant. Et pour cause ! Une petite chapelle gothique du XIIIe
siècle jouxte le plan d'eau… Là, sont enterrés Jean-Jacques Simon et sa femme Renée, à côté de la tombe
de leur chien Poppy. Ce couple, dont le mari fit fortune dans la banque, légua ce domaine de 280 ha à
l'État en 1972. En posant toutefois une condition : que le domaine soit réservé « à la plus haute autorité
de l'exécutif ». Pour s'assurer que la règle ne soit pas oubliée, le testament est gravé sur les sépultures. Et
un postulat que se sont transmis depuis tous les occupants : pour vivre heureux, vivons cachés.
Le domaine qui se situe à 40 km au sud-ouest de Paris s’étend sur 280 ha. Gamma/API
Le domaine ouvert une seule fois au public
« Je sais qu'il y a des visiteurs sur place quand je vois les gendarmes garés devant la résidence, mais
jamais avant », raconte le maire Christian Gourin. Ici, la confidentialité est plus que jamais de mise. Le
domaine ne fut d'ailleurs ouvert qu'une seule fois, pour les Journées du patrimoine en 1995. Et les
habitants de la commune furent autorisés à se promener, mais uniquement dans les jardins. Depuis,
l'opération n'a jamais été rééditée.
Ce qu'on appelle le « château de Souzy-la-Briche » ressemble plutôt à une maison de maître, une
gentilhommière un brin vieillotte. Au rez-de-chaussée, se trouvent un salon avec piano et une
bibliothèque dotée d'une cheminée. Les étagères sont remplies de livres de la Pléiade annotés par
François Mitterrand, dont le grand fauteuil en cuir noir vieilli par les ans est toujours conservé.
Esprit es-tu là ? « Quand on se dit qu'il s'y est assis, Chirac aussi, puis tous les Premiers ministres
depuis… ça donne quand même le frisson », témoigne un visiteur. Le premier étage est occupé par
plusieurs chambres, dont celle du Premier ministre. Les combles ont aussi été aménagés pour recevoir
des invités. Ambiance familiale et amicale.
Le charme des lieux n'est pas nouveau. Au début des années 1980, François Mitterrand jette son dévolu
sur cet écrin de verdure. Le socialiste abrite là sa seconde famille. Sur un banc, il bouquine dans le parc
en regardant Mazarine s'adonner à l'équitation. Le manège qu'il a fait construire pour sa fille est
aujourd'hui envahi par les mauvaises herbes. Moments intimes… où il apprécie également les « longues
matinées paresseuses », comme il l'écrira.
Au début des années 1980, François Mitterrand a choisi Souzy-la-Briche
pour y abriter sa seconde famille, dont Mazarine. DR
Tout change sous Nicolas Sarkozy
Avec Jacques Chirac, le domaine est moins fréquenté. Il s'en sert par éclipses, soit pour héberger sa bellemère,
soit pour accueillir des personnalités étrangères. Puis tout change sous Nicolas Sarkozy. Le
nouveau président s'empare de la Lanterne, dévolue jusqu'alors aux hôtes de Matignon. En guise de
compensation, Souzy-la-Briche est attribuée aux Premiers ministres. Une sorte de troc. Seulement,
François Fillon, qui dispose déjà d'un manoir dans la Sarthe, n'est pas intéressé. « Je n'y suis jamais allé »,
confie-t-il au Parisien. « Il n'en voyait pas l'intérêt, ça ne le tentait pas », se souvient une ancienne
collaboratrice.
Le dernier hôte en date, lui, ne boude pas son plaisir. Depuis qu'il a été nommé à Matignon, en juillet
dernier, Jean Castex se met régulièrement au vert à Souzy-la-Briche. « Le Premier ministre apprécie le
lieu, car c'est calme et verdoyant, commente sobrement son entourage, sans volonté d'en dire beaucoup
plus. Il peut s'extraire du quotidien, parfois lourd et pesant du pouvoir. » A Paris, l'ex-maire de Prades
(Pyrénées-Orientales) vit dans les appartements de fonction de Matignon. Alors, certains samedis, toute
la famille aime à se retrouver dans ce coin vallonné, au sud de l'Ile-de-France. Depuis la capitale,
comptez 45 minutes en convoi escorté par des motards.
Le sac de frappe d'Édouard Philippe
C'est que les distractions y sont variées. Le parc est si grand qu'il n'est nul besoin d'en sortir pour faire
son jogging. On peut s'oxygéner sans croiser un paparazzi. Fana de course à pied mais aussi de boxe,
Édouard Philippe y fait installer en 2017 un sac de frappe dans un cabanon. Parfois, il joue au foot avec
ses fils, pendant que son épouse Edith organise des barbecues. Leur fille, elle, profite de ces moments
pour faire du poney.
« Édouard est souvent venu à Souzy quand il ne pouvait pas aller au Havre, rapporte l'un de ses amis.
Cela pouvait lui arriver de se plonger pendant des heures dans le bureau, avec un bon bouquin. Il se
sentait comme dans une bulle, même s'il emportait toujours avec lui un ou deux dossiers. »
Dans cet antre, Philippe convie sa bande de copains : les ministres Gérald Darmanin et Sébastien
Lecornu, les parlementaires Gilles Boyer et Thierry Solère, le conseiller Charles Hufnagel. Son directeur
de cabinet Benoît Ribadeau-Dumas passe parfois déjeuner, le samedi. C'est le cuisinier de Matignon qui
prépare les plats, apportés depuis Paris. Quant aux gardes du corps, au médecin et au « transmetteur »
(opérateur radio de l'armée de terre), ils logent dans une dépendance. Il y a aussi un intendant qui vit
sur place.
En plus d’un immense parc, le domaine dispose d’une petite chapelle gothique du XIIIe siècle
et d’un plan d’eau./ABACA/JDD/Gilles Bassignac
Il arrive que le week-end soit studieux. « Je suis allé à Souzy pour la première fois en juin 2014, raconte
Manuel Valls. J'y ai organisé un séminaire avec les membres de mon cabinet. » Le soir, devant la
télévision, les conseillers soufflent en regardant les matchs de la Coupe du monde de football au Brésil.
C'est peu dire que l'élu de l'Essonne a eu un coup de cœur pour cet endroit, dont Jean-Marc Ayrault lui
avait parlé pendant la passation de pouvoirs.
Hollande est venu trinquer une dernière fois
Manuel Valls en profite pour se retrouver avec ses enfants, qui vivent à Évry. Il y passe son réveillon sur
place à trois reprises : les 31 décembre de l'année 2014, 2015 et même 2016, alors qu'il a pourtant quitté
Matignon pour se lancer dans la course à la primaire. Qu'à cela ne tienne : son successeur Bernard
Cazeneuve l'invite.
Autour de la table, se trouve un autre invité de poids : François Hollande ! Alors que se profile la fin du
quinquennat, le chef de l'État est venu trinquer une dernière fois. Il le sait, une page politique est en train
de se tourner. Pour lui comme pour ses camarades.
Quelques minutes auparavant, il a prononcé ses vœux aux Français, en direct à la télévision. Puis, le
président monte en voiture, direction l'Essonne. Une destination qui ne lui est pas inconnue. L'année
précédente, il est déjà venu festoyer sur place. Le 1er janvier 2016, en pantalon beige, il joue au football
avec Manuel Valls et ses enfants sur les grandes pelouses près de la chapelle. Temps heureux. Les tracas
de la politique sont oubliés. Les rivalités, enterrées. Souzy-la-Briche adoucit les mœurs.
Depuis la route départementale, on ne peut rien voir de ce qui se cache
derrière l’épais mur d’enceinte du domaine."