Edouard était né en 1865 dans une famille nombreuse pauvre mais
très unie. Ils logeaient tous dans une des dépendances de la propriété des
Astous mise à leur disposition par le
Meste.
Jacques, le père,
« brassier » sur les terres travaillait depuis toujours dans les
vignes de ce domaine de Jurançon.
C’était un homme tes
intelligent, fier de savoir signer de son nom sur le registre des naissances
alors que la majorité le faisaient d’une simple croix. Désireux que ses
enfants aient une bonne éducation il sacrifiait
leur aide sur les terres pour les envoyer à l’école. Marie, sa femme , trimait toute la journée pour la
riche Daoune du domaine.
Edouard était un enfant heureux
jusqu’à cette triste nuit du Nouvel An. Un terrible orage faisait tout trembler
du ciel à la terre et les brassiers avaient dû sortir sous les bourrasques de grêle pour essayer de
sauver le Vignoble.
Jacques s’affairait en bout de
rangée de ceps quand un arbre de l’orée du bois tomba lourdement, l’écrasant,
le tuant.
Vite on alla chercher Marie de
saisissement son cœur ne résista pas ,elle s’écroula, morte au coté e son mari.
Pauvres enfants qu’allaient t il
devenir ? Grâce à leur bonne éducation et leur courage Les filles d’abord placées
chez les Sœurs devaient toute leur existence œuvrer dans une mission en Chine.
Deux frères prirent un cargo pour l’Argentine où l’un d’eux fonda l’Ecole
française de Mar del Plata, le plus jeune s’engagea dans l’armée…Edouard reçu «
Premier du Canton de Pau au certificat d’études « entra chez les compagnons
du Tour de France.
(avec ce certificat d’études on
maitrisait parfaitement écriture, grammaire et orthographe, toutes les
opérations du calcul, l’histoire de France, sa géographie physique et
politique, on connaissait les grands auteurs, on était capable de réciter un
grand nombre de poésies) Une parenthèse ne suffit pas à dénombrer toutes les
vertus que cet enseignement
dispensait : le respect des parents et des maitres, l’amour de la
Patrie…
Chez les Compagnons Edouard choisit la section »Peinture
filets et lettres ». Filets cela signifiait toutes les décorations des
calèches, des intérieurs bourgeois, des riches vitrines commerçantes etc.…
Edouard aimable, toujours joyeux
était parfaitement heureux dans ce milieu fraternel, à Paris, comme tous les
autres amoureux de la Mère des Compagnons. A cette époque sont seul vrai
chagrin avait été la disparition de son frère militaire. Il avait été expédié
avec son régiment pendant la guerre en Nouvelle Calédonie. Un jour un document
militaire mentionnant « mort au combat » avait désespéré Edouard.
Quelques temps après il avait
reçu la visite d’un ancien combattant au visage tout couturé se disant l’ami de son frère qui lui
déclara sans ménagements :
- Votre frère n’est pas mort en
combattant… il a été mangé par las canaques !! Sur son acte de décès la mention « mort au
feu » était quand même valable ajouta-t-il avec un affreux sourire.
Pauvre Edouard il ne s’en est
jamais remis.
Sinon sa vie professionnelle et personnelle
lui s donnaient parfaite satisfaction. Il faut préciser qu’il était très beau. Taille haute pour un béarnais,
silhouette élégante surmontée d’un visage aux
traits réguliers, un sourire ravageur et d’épaisses boucles brunes…
Dans son tour de France et
d’Espagne il avait multiplié les conquêtes et laissé au passage quelque cœur
blessé.
Un défaut cependant une
addiction au vin blanc qui devait lui jouer des tours. Il en tirait cependant
une leçon positive. Ainsi il déclarait qu’après être tombé ivre dans une
rivière « et même un fleuve » il ne fallait jamais se retourner et
nager jusqu’à l’autre rive... Indécrottable optimiste il ne se trouva pas gêné
lorsque sa logeuse, à Dax à son retour d’Espagne, lui demanda le prix de la pension
qu’il était dans l’incapacité de payer…
- Chère madame rien ne pourra
m’empêcher un retour heureux et me fixer au pays, certes je ne peux vous payer
mais j’épouse votre fille et tout est réglé. Quel artiste ! Ainsi fut fait
et la gentille Eugénie devint son épouse. Six enfants plus tard Edouard
déchargé de tout souci d’ordre familial par sa vaillante femme, chantait en
travaillant, amusait ses enfants par son humour toujours vivace, multipliait
les amis … et les cadavres de bouteilles de vin de jurançon. Trop jeune en
70, soutien de famille en 14, trop âgé en 39 il avait échappé à toutes les
guerres. Rien ne pouvait entamer sa bonne humeur et sa gaité restées juvéniles…
Les peintres fabriquaient eux mêmes leurs
peintures avec des pigments en poudre et de la céruse laquelle contenait du
plomb…avec leurs tendons raccourcis les
mains d’Edouard ressemblaient à des griffes d’oiseau, bientôt il ne put plus
tenir le pinceau. Edouard atteignait l’âge de la retraite, il n’y avait plus de
calèches à décorer, il se reconvertit alors en formateur d’apprentis. Il
n’était guère sévère et riait avec eux. De temps en temps pour asseoir son
autorité il prenait une grosse voix en défaisant la boucle de sa ceinture de
cuir, en libérant de plus en plus de longueur il criait ;
»Ca va chauffer sur les
mollets » mais il s’arrêtait r toujours avant de libérer complètement ce fouet
imaginaire.
Comme le jour où il avait envoyé un apprenti
travailler chez un commerçant. Il s’agissait
d’écrire sur la façade en lettres
élégantes les spécialités maisons. Edouard avait donné le modèle au gamin écrit
sur un carton:
-«VINS LIQUEURS SIROPS ».
Le soir Edouard alla vérifier le
travail et fut effaré de
lire : »VINS LIQUEURS
SIRO.P.S ». L’apprenti s’expliqua :
-Oui, Monsieur J’ai écrit comme
vous m’aviez dit : » SIRO PUR SUCRE ». Edouard dans son fou
rire oublia même de défaire sa fameuse ceinture….
Avec ce don égoïste de ne voir
que le bon côté de l’existence, se moquant avec humour de ses
contemporains il vieillit ayant gardé
son élégante silhouette et son pas
élastique s’adonnant à sa passion
de lire, sans lunettes, et se vantant de n’avoir jamais eu recours à un
médecin.
Il avait quatre vingt onze ans
quand un accident eut raison de sa vitalité.
J’aimais beaucoup mon grand-père.