"Pour toi, enfant crabe, enfant charognard,enfant en
guenilles du Caire ou de Manille,
hissé sur ton mât de cocagne, au sommet des immondices, j'ai
peur.
Alors mes yeux révoltés dégagent des vapeurs humides. Rideau sur les cendres
du monde. Ton image est entrée par effraction par tous les
pores de mon être;
Je frissonne, je bouillonne. Tu es là, tu m'obsèdes. Ma main
tremblante,hésitante
plonge dans tes broussailles pouilleuses, elle s'agrippe à
ton corps gracile ,elle
te soulève,oiseau de proie ,indécente,elle t'enserre
doucement dans ses griffes.
J'ai mal,mes doigts gourds se recroquevillent ; ma
main te propulse dans un arc en ciel
de bonbons à la guimauve,elle te plonge dans un lac de
grenadine,elle te couve
dans un nid de plumes
et de ouate.Elle te sent rétif, elle te sent craintif,toi l'enfant
agneau égaré dans une meute de loups.Ma main doute;ma main
est en déroute.
Elle voudrait être caresse,elle voudrait être tendresse,elle
n'est que maladresse.
Elle se
raidit.Pourtant, je sens ta chaleur,je sens les remugles des entrailles
farfouillées, je sens la fumée,le caoutchouc brûlé, les
restes d'un festin avarié.
Ton souffle me bouscule.J'entends ton petit cœur
battre,tambour du Bronx,
J'entends tes rêves silencieux. Dans ma bouche, le goût des
égouts,le trop plein
l'indigestion,la vomissure.Elle voudrait être
lance-flamme,guerrière exterminatrice,
mais, elle,en cul de poule ne pond que mes mots inutiles.
Pourquoi ce silence
enfant en guenilles ? Je
n'entends pas ton cri de désespoir,
seul le grouillement de ton
ventre affamé est le bruit
insidieux d'une marée noire
et visqueuse qui envahit mes tripes. Enfance volée,enfance
spoliée,je veux que tu
sois sourire
pataugeant dans une piscine de chocolat, je veux voir ta frimousse
réjouie, tes joues rebondies comme le ballon que tu frappes en rêve sur la
boîte de conserve cabossée.Là,j'entends pour toi, enfant devenu roi,les
« ola » dans le stade rempli.
Alors,j'applaudis des
deux mains qui ressuscitent la vie."