lundi 20 août 2012

Quand un gendarme rit...


- Allons Lili dépêche toi, Lucie sa colocataire secoue Lili, si tu veux réussir à conquérir ton patron ne commence pas par arriver en retard !
Lili vérifie son corsage à balconnet, sa coiffure longue et lisse enfile ses escarpins et sort en courant.
Lucie a raison, Joël Bonneton est la chance de ma vie! Propriétaire de la bijouterie « Bonneton et fils » c’est un veuf dans la force de l’âge, consolable, si j’en juge par la façon dont il zieute mes mollets.
Depuis trois mois que je suis vendeuse dans son magasin il multiplie les gentillesses, il apprécie le sourire modeste que je lui dédie au-dessus de mes décolletés, chaque jour plus audacieux, et je sais qu’il apprécie avant tout le regard adorateur dont je le couve, Lucie m’a aidée à le mettre au point, je le lève sur lui chaque fois qu’il m’adresse la parole. C’est évident que je préférerais « colocater », au premier, au dessus de la boutique, avec ce bel homme nanti. Adieu Lucie, les fins de mois difficiles et la perspective de coiffer Sainte Catherine. Ah ! Oui ! C’est évident c’est un CDI conjugal que je cherche, pas une aventure. Pour réussir je dois jouer fin. Je m’y emploie ; comme je m’y emploie !
Monsieur Joël est déjà là, Lili est fière de passer la porte de cette élégante boutique, un jour peut être elle sera la « patronne » ?
Joël a laissé les clefs de l’appartement sous le paillasson pour la femme de ménage. C’est bien pratique d’avoir seulement un escalier à descendre pour aller travailler. C’est bon d’être son propre maître, je reconnais que j’ai de la chance. Mon seul problème c’est la solitude. J’ai dû prendre une femme de ménage et j’ai horreur que des mains étrangères fouillent dans mes affaires. Depuis quelques mois je pense beaucoup à cette petite Lili que j’ai embauchée sur sa bonne mine. Il faut reconnaitre qu’elle se débrouille bien au magasin. Un peu jeunette. D’une innocence si touchante que je n’ose pas.
J’ai à peine le temps de replacer certains joyaux en vitrine que voilà Lili jolie comme ce n’est pas permis, inconsciente de l’effet qu’elle produit sur moi.
Maintenant Lili est un petit tas de sanglots adossé au mur de satin crème. A côté d’elle assis sur le parquet, mains sur la tête Monsieur Joël essaye d’empêcher ses joues de trembler. Il est impressionnant le gaillard cagoulé qui les menace d’un calibre luisant. Il a déjà rempli son « sac de sport » de bijoux précieux après avoir fait ouvrir le coffre au malheureux commerçant. Maintenant avec calme il finit sa luxueuse récolte en vidant les vitrines scintillantes. Joël n’avait pas eu le temps d’actionner l’alarme et il savait toute résistance inutile. Il caresse quand même l’espoir qu’un passant dans cette soirée encore assez claire réalise qu’il se passe dans sa boutique quelque chose d’anormal et donne l’alerte.
Ses pensées courent en désordre avec une certaine résignation ; il aurait bien été le seul bijoutier de la ville à n’avoir pas été cambriolé. Le voleur on ne le retrouvera pas. Tout à coup comble de  malchance il réalise qu’il venait de « rentrer » un lot superbe de diamants en provenance d’Amsterdam. Et l’assurance… quelle bêtise d’avoir un peu diminué la police, du coup Joël se perd dans les calculs. Avant tout il est terriblement contrarié que Lili le voit dans cette posture humiliante, elle qui lui manifeste une telle admiration. Il se trouve lamentable mais que faire, il risquerait leurs vies à jouer les héros. Bah ! Lili n’est guère plus flattée que lui avec ses yeux rouge-albinos et au milieu de sa face bouillie, le nez qui coule jusque dans sa bouche. Heureusement ses petits seins bien ronds ne semblent pas participer à la panique générale.
Il semble à l’extérieur qu’une haute silhouette soit accotée au chambranle de la porte vitrée. Espoir. Lili renifle, Joël tente un mot d’encouragement pour montrer son calme et rétablir son avantage aux yeux de sa jeune compagne d’infortune. A peine Joël a-t-il ouvert la bouche que dessous la cagoule jaillit un monstrueux :
- Ta gueule, enfoiré !
Avec calme le voleur se tourne de dos à la caméra de surveillance, enlève sa cagoule, range son flingue et met en bandoulière son lourd sac de sport. Au moment où il s’apprête à ouvrir la porte, celle-ci le renverse brutalement, puissant et décidé derrière le battant un gendarme pousse son avantage, colle l’individu au sol lui passe les menottes, l’homme est maitrisé, impuissant, fortement maintenu il ne se débat pas.
Joël et Lili, se relèvent fous de joie, les genoux encore peu solides mais avec un énorme sourire de soulagement. Oh ! Lili… Oh ! Monsieur Joël !… puis se retournent vers le grand gendarme qui les a délivrés. C’est un heureux hasard qui a fait passer Claude Etché devant la boutique au moment du holdup.
- Il n’était pas question que j’appelle mes collègues, heureusement que j’ai pu résoudre ce problème tout seul les renforts vont arriver, faites le bilan des dégâts, demain vous viendrez déposer et reprendre votre bien. Maintenant essayez de récupérer de vos émotions. Le gendarme Etché, voyant le couple enlacé ne doute pas un instant que la récupération sera commune et sans doute agréable. On a droit à des cours de psychologie dans la gendarmerie.
- Merci, mon Capitaine.
Claude Etché est impressionnant avec sa haute taille et ses moustaches luisantes, hier c’était son jour de gloire ; il avait arrêté le matin trois dealers et un jeune voleur de portables, et hier soir le braqueur de la bijouterie ! Félicité par la brigade il est un modèle pour tous ses collègues qui l’admirent dans son impeccable garde à vous. Chaussures et ceinturon bien cirés, chemise bleue avec ses plis parfaitement horizontaux, cheveux courts, allure martiale c’est un gendarme de rêve.
Son rêve à lui est un secret parfaitement protégé. Maintenant il est vraiment décidé à tourner la page.
Fini le service. Rentré dans son appartement élégamment aménagé Claude se libère de son uniforme sans la moindre nostalgie. Il ne le revêtira plus à partir de ce soir. Devant la glace de sa coquette salle de bains il décolle sa moustache plus vraie que nature ; il y a longtemps qu’il n’a plus de barbe et s’amuse de l’étonnement de ses camarades pour son rasage ultra-près !! Le miroir lui renvoie l’image de son superbe torse parfaitement lisse, la prise régulière d’hormones est un esclavage  mais qui produit parfaitement les effets escomptés. Claude choisit une robe qui sied parfaitement à sa minceur. Bientôt il possédera les rondeurs auxquelles il a aspiré toute sa vie. Habillé en femme il se sent enfin en accord avec sa  nature intime, il essaie avec jubilation la superbe perruque bouclée qui permettra à ses cheveux d’atteindre une longueur propice aux fantaisies capillaires et à la douce caresse de la brosse. Un plaisir attendu avec impatience. Il essaye quelques poses devant le miroir, particulièrement une attitude de Lady Gaga, imitation qu’il a travaillée et possède à la perfection. Quelques gouttes de « Femme » de Rochas, son parfum préféré.
Il est prête.
Il marche dans la rue, tête haute, fier d’avoir vaincu tant de batailles contre lui et la société pour trouver sa vérité profonde envers et contre tous. Réellement transformé maintenant aux yeux des autres, il ressemble avec sa robe légère près du corps, ses jambes fuselées et son sourire empreint d‘une nouvelle sérénité à une ravissante jeune femme.
Il s’essaye au shopping ; près de là il a repéré un élégant magasin de chaussures avec des stilettos vertigineuses, les rouges très Bunuel l’attirent particulièrement. Le fait qu’il demande les vernies en taille 41 n’a pas l’air de surprendre la vendeuse. Claude jubile.
Il continue sa promenade dans la douceur de ce soir de printemps, c’est comme une renaissance.
Des hommes se retournent sur son passage.
Distraitement il lèche les vitrines l’esprit ailleurs en ce jour décisif. La lettre  de démission de l’armée est dans sa poche droite. ça y est il l’a postée. Claude ressent un grand soulagement, mieux, une joie délicieuse maintenant qu’il est prêt au grand saut. Le saut dans sa tête il y a longtemps qu’il est fait, cette fausse virilité qu’il a dû supporter tant d’années, n’est plus qu’un souvenir presque irréel.
Tout cela est bien beau mais comment va-t-il vivre dorénavant ? Aucun souci, il a dans sa poche gauche un contrat en bonne et due forme : il commence demain au cabaret « Chez Michou ».

6 commentaires:

  1. Jolie cette nouvelle. Tout est bien qui finit bien...

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  2. Riche en rebondissements, très enlevé !... La fin, surtout, est très jouissive. Mais est-ce vraiment une fin ?... On aimerait bien l'accompagner encore un peu, ton gendarme de rêve.

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    1. Chère Monika à toi d'écrire la suite qu'il me tarde de lire...

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    2. Je n'ai pas l'écriture facile, en ce moment... Mais qui sait ?... Si l'inspiration me vient !...

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  3. Lécheur de vitrines, peut-on en faire un métier avec des heurez supplémentaires?

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  4. Gendarme et gendarmette à la fois... Il aurait plus au maréchal des logis-chef Cruchot, celui-là... O_o

    ^^

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