T.G.V Hendaye
– Paris.
Il appuie son front fiévreux contre la vitre.Les deux garçons, dans le compartiment côté couloir sont absents
à tout ce qui les entourent. Certes ils sont sages, bien plus que les préadolescents
d’il y a quelques années. Leur père a essayé d’engager la conversation. En vain .
L’un, écouteur aux oreilles est affalé, béat les yeux
fermés ; l’autre manipule son i pod avec une vélocité presque inquiétante.
Quelle déception cette semaine de vacances à Biarritz !
Il s’en faisait une joie depuis le temps qu’il n’avait pas été seul avec ses
garçons, ce sont ses petits quand même !
Ils sont élevés par leur mère, son ex-femme et le compagnon
de celle-ci. Il avait espéré retrouver certains moments d’intimité ; quand ils étaient tout petits ils se
disputaient pour se lover sur ses genoux et prenaient sa main pour la passer
sur leurs boucles brunes ou leur
chatouiller le dos; ils ronronnaient comme des petits chats...
Certes, ils sont maintenant à l’âge de toutes les pudeurs et des manifestations
d’indépendance, mais leur froideur inattendue à son égard l’a profondément blessé. Après un divorce traumatisant ils avaient été séparés trop longtemps , le
lien était rompu et ne se renouerait pas. Les garçons avaient tourné la
page ; il ne leur en voulait pas d’une attitude qui n’était sans doute
qu’une réaction de protection, mais il avait failli pleurer quand le plus jeune
avait parlé de « papa » et qu’il savait qu’il ne s’agissait pas de
lui mais de « l’autre ».
Oui, un désastre cette semaine. Il avait plu presque tous
les jours et le matériel de surf tout neuf était resté à l’hôtel. Pas question
de les distraire avec une glace et un tour
de manège. Il avait loué une voiture, excédant de beaucoup le budget
prévu, pour leur faire connaître le Pays Basque, ils avaient suivi indifférents
et boudeurs.
Maintenant dans ce train
il les ramenait à leur mère
(étaient-ils avec elle aussi froids qu’avec lui ?) le cœur lourd,
l’échec
douloureux. Voudraient-ils le revoir plus tard ? Il en doutait . Et,
lui,
honnêtement, désirait-il refaire une expérience de ce type ? A Paris
l’attendaient son petit studio de solitaire et surtout sa recherche
éperdue
d’emploi. Il avait tout perdu en même temps, femme, enfants, maison,
travail. "Tu n'es pas le seul dans ce cas" disaient les rares amis qui
lui étaient restés.
Piètre consolation. De temps en temps son regard quittait le paysage
défilant
pour se porter sur les enfants avec une
charge d’amour intense qu’il savait, hélas, incommunicable.
Dax :- dix minutes d’arrêt
T.G.V Paris- Hendaye.
Ah ! sa mère, égoïste, inconsciente, c’est elle qui
aurait du convoyer la mémé. Pauvre vieille qui se fait toute petite avec ses
mains qui tremblent sur ses genoux, qui lève constamment des yeux inquiets vers
sa valise :
- Tu l’as bien calée au moins, elle ne va pas tomber ?…
Elle a du l’accompagner de nombreuses fois aux toilettes et
pourtant elle s’est sans doute oubliée, une odeur acre a rejeté la jeune femme
près de la fenêtre.
On ne demande pas à une petite-fille d’accompagner sa
grand-mère, chérie de surcroit, dans une maison de retraite, un mouroir plutôt,
un habitat en CDI, généralement de courte durée . Dès qu’un pensionnaire y
meurt on fait appel au premier de la liste d’attente. Cela s’était passé ainsi pour
mémé, mais sa mère, ah ! Sa mère lâche comme toujours, avait déclaré avoir
trop de peine pour faire ce lointain voyage.
Elle a des larmes plein les yeux et s’efforce de donner à sa
voix un ton joyeux :
- Tu seras bien, mémé, la maison n’est pas loin de la mer,
tu auras des médecins sur place pour te soigner, tu te feras des amies, tu ne
seras jamais seule, il y a des animations…
-Ne t’inquiète pas ma chérie, si tu peux me téléphoner de
temps en temps ce sera très bien.
Sa mémé elle ne la reverra sans doute jamais, tous leurs
moments de tendresse lui reviennent en mémoire, trésor d’enfance et de jeunesse
à jamais perdu, une grosse boule monte
dans sa gorge …
Dax :- dix minutes d’arrêt.
Elle a baissé la vitre et secoue sa longue chevelure dorée
en étirant les bras ;
De l’autre côté du quai, en face, Il passe le haut de son
corps à l'extérieur pour humer la fraicheur de l’air.
Leurs regards se rencontrent dans un éblouissement immédiat.
Ces yeux clairs si tendres il les attendait depuis si longtemps, elle trouve
enfin ce visage mâle aux traits fermes auquel elle rêvait !
Maintenant ils savent que leur intense liaison ne durera qu’un
instant. Il tente télépathiquement de lui raconter sa vie et tout le bonheur qu’il
attend d’elle ... Elle lui transmet son besoin de tendresse et sa confiance en lui. Elle lui sourit,
oui, d’un large sourire heureux, il y répond, timidement d’abord puis avec enthousiasme.
Ils se sont trouvés ; ils se sont compris. Moment de pur bonheur.
Des annonces en cris ; des bruits sombres,des grincements tragiques.
Les convois s’ébranlent, en sens inverse, déchirant à jamais
leur avenir.
.
Plaisir d'amour ne dure qu'un instant,
RépondreSupprimerChagrin d'amour dure toute la vie.
Comme quoi, la plupart du temps, il vaut mieux éviter de concrétiser, en effet !
bon nous voilà un bon texte pour lire en allant à la piscine
RépondreSupprimerje te fais le retour plus tard
et je te te crois pas
bachelard se lit comme du petit lait
je te fais des gros bisous
Le train a sifflé trois fois....
RépondreSupprimerkiss
Ton texte me fait penser à ma plus courte histoire d'amour:
RépondreSupprimerNos yeux se croisèrent, en une fraction de seconde, nous sûmes que nous aimions. Puis la barrière du péage s'ouvrit, le feu passa au vert et nous nous quittâmes à jamais dix secondes plus tard...
merci pour ce beau texte le premier m'a renvoyé mon histoire avec l'enfant que j'ai élévé et dit d'une grandeur dans sa sobriété c'est de la tragédie antique contemporaine avec l'abréaction aristotélicienne, les autres on le même tenant je te remercie tu m'as fait beaucoup de bien pour gagner dans mon lâcher prise , c'est une des valeurs de beaux textes , il soignent ceux qui les lisent si l'histoire leur parle
RépondreSupprimeraprés les 4 mains c'est vers le livre à ta main que tu vas . je t'y encourage . françoise pain
.
Merci Frankie tu es adorable de gentillesse.
SupprimerMerci Manouche pour tes trois textes.
RépondreSupprimerflashs sur un quotidien banal à en mourir.
résumés de la dureté de la vie.
l'éphemère des sentiments ( absence, indifférence)
l'éphemère de l'existence ( jeunesse, vieillesse, mise au rebut)
l'éphemère du bonheur ( un regard, un regret)
que le soleil qui rechauffe les coeurs soit toujours avec toi.
bellemiche
J'ai beaucoup aimé ce texte où les destins se croisent, se font et se défont. Les trains passent, les vies passent, le temps passe......
RépondreSupprimer