Après le catéchisme et ses malaises béats dus
aux litanies et aux vapeurs d’encens elle avait eu une époque de folie
mystique.
Tous les dimanches après de chastes ablutions où elle
évitait de regarder son corps dont on lui avait appris qu’il n’était que la
misérable enveloppe d’une âme à mortifier à la seule fin de la rendre plus
sainte. De toute façon il n’y avait pas de miroirs dans la ferme si ce n’est un
bout de glace tavelé collé contre la porte au dessus du porte manteau en corne
de cerf et dont le rôle se bornait à vérifier l’angle correct de son chapeau
avant de sortir.
La bicyclette au cadre en berceau
avait été rouge autrefois. Madeleine l’enfourcha après avoir posé son sac à
main et son missel dans le panier d’osier fixé sur le guidon.
- Bonjour, Madeleine, il fait bien
beau ce jourd’hui, le temps est à l’ensoleillage.
Le fermier des « Châtaigniers » salue Madeleine
par-dessus la clôture électrique de son champ de soja.
« S’il pouvait prendre le jus une
fois » pense Madeleine qui ne peut supporter cet avorton faiseur
d’embrouilles qui s’imagine que le fait d’avoir décroché en son temps le
certificat d’études avec mention lui donne le droit de s’exprimer en inventions
de vocabulaires et autres néologismes qu’il juge le comble de l’élégance
verbale.
« Quel crétin ! pédale
Madeleine rageuse, il s’imagine que je vais le regarder ». Ce n’est pas
très chrétien comme pensée, surtout
dominicale. Madeleine, tire sa jupe sur ses genoux en entrant dans le village,
saluant d’un léger signe de tête les paroissiens qui se dirigent vers l’église
dont la cloche fêlée sonne le rappel. Elle les connaît tous , la bourgade est
modeste.
« Pourquoi Dieu m’a-t-il fait naître dans ce trou
perdu où les seuls événements marquants sont, à part égale, les vêlages et les
cocufiages… Qu’est ce qui m’arrive ? encore une pensée impie ».
Elle a dépassé, la boucherie au rideau
métallique baissé, le Bistrot des Amis où, dit M. le curé, se retrouvent tous
les communistes du pays.
- Enfin, disait le bon vieux père
Martin qui a fait ses adieux la semaine dernière, il était temps !
Le malheureux ne pouvait plus revêtir seul les habits
sacerdotaux et sa vieille main tremblante proposait une hostie sauteuse
impossible de happer au passage.
Sur le minuscule parvis, où il n’y a
guère picoraient les poules de Jany la coiffeuse hommes-dames, on a placé un
hangar à vélos. Madeleine rajuste son chapeau et descend sur ses bras nus les
manches de sa robe. L’église est pleine, beaucoup sont venus par curiosité, il
n’y avait plus de surprise avec l’ancien pasteur qui leur avait fait presque un
demi-siècle.
L’église est toute simple, romaine,
peu entretenue, blanche et grise dépourvue de toute décoration, mal éclairée
avec un autel de pierre nue. Chacune a brodé une nappe pour le recouvrir et
aujourd’hui Madeleine reconnaît celle brodée par ses petits doigts malhabiles
au temps du catéchisme.
Gérard, l’horloger, tire quelques notes anonymes du
minuscule orgue asthmatique. Clochette. Les deux enfants de chœur sortent de la
sacristie en se taclant, visages impassibles. Derrière eux une silhouette
immense porte le ciboire, on la distingue mieux à la lueur des bougies et un
frémissement parcourt l’assistance. Ce grand curé est noir, noir de chez
noir !!
A côté de Madeleine, Justine et
Séverine toutes rouges sous leur fichu reprennent leurs esprits et chuchotent
avec hargne :
- Mais quelle honte, ce n’est pas
possible,
- Ces sauvages que nous sommes allés
coloniser qui nous envoient un des leurs comme pasteur !
- Qu’avons-nous fait pour que l’évêché
nous punisse ainsi ?
Un sourd murmure court dans les travées.
- Il sait au moins dire la messe ce
sauvage, moi je ne veux pas qu’il m’approche, nous allons porter plainte.
- Il parle français et le sermon n’est
pas mal mais est-ce qu’il pense comme nous ?
Madeleine tente un
« Chut ! » d’apaisement. Il est bien discret, pourtant les
« fidèles » se taisent et Madeleine reçoit en plein cœur le regard
reconnaissant du prêtre.
Le moment de la communion est un désastre, les enfants du
catéchisme s’avancent en traînant les pieds, suivis de Yolande l’aveugle et de
sa mère quasi centenaire ; Madeleine clôt la file.
C’est vrai que c’est curieux cette
main si noire à la paume rose qui tient l’habituelle hostie mais la bénédiction
est dite à voix très douce et Madeleine se sent apaisée comme les autres
dimanches.
Les modestes vitraux laissent passer
une lumière colorée qui accompagne Madeleine à la sortie de l’église sur le
parvis. Les ouailles se sont déjà dispersées et c’est du bistrot, refuge des
bouffeurs de curé, que montent plaisanteries et rires gras.
Au soleil tacheté par les platanes les
joueurs de boules tirent, pointent, mesurent comme si leur vie en dépendait.
Ils ne lèvent pas la tête au passage de Madeleine, silhouette discrète et sans
surprise.
Les boules se heurtent dans un
cliquetis métallique qui fait fuir les moineaux qui picorent sur le trottoir de
l’Hôtel du Commerce.
« Je ne peux pas rentrer chez moi
comme si de rien n’était ».
Madeleine rebrousse chemin, il faut que je réconforte ce
malheureux prêtre.
La porte de la sacristie est ouverte
et le prêtre affublé d’un survêtement, assis, dos arrondi, regardant ses
longues mains posées sur ses genoux, est immobile.
- Je peux entrer Monsieur le
curé ?
Le prêtre se lève d’un bond. Qu’il est
grand !
- C’est vraiment gentil de me rendre
visite, et, dans un sourire éblouissant, je ne suis pas particulièrement
heureux après cette première messe. Il est touchant ce grand gaillard dans son
désarroi ;
- Croyez, Monsieur l’abbé…
- Dites « mon père »…
- Ils ne sont pas méchants les gens de
Carebac, seulement ils ne sont guère sortis du village et ont été ahuris ce
matin.
- Pourtant, vous mon enfant, vous
n’avez manifesté ni hostilité ni étonnement. Le cœur de Madeleine s’emballe.
Cela peut paraître incroyable mais personne ne l’a appelée mon enfant avec tant
de douceur, Madeleine vouée dès le plus jeune âge à la DDAS et à une suite
chaotique et sans tendresse de familles d’accueil.
- Je suis compréhensif, d’autant que
vous avez raison ils sont « bien braves » comme vous dites, on m’a
laissé un poulet pour le déjeuner. Vous êtes seule ce midi ? Pouvez vous
le partager avec moi ?
Aussi rapidement que celui d’un enfant,
le visage du prêtre est passé de la tristesse à la gaieté. Un courage
extravagant chez elle, pousse la timide Madeleine à accepter.
Dans la minuscule cuisine de la cure,
appelez-moi Mamadou, le prêtre a ouvert le poulet en deux avant de le placer
dans le four. - J’aurais aimé vous le faire Atéké comme chez moi à
Bouaké-Bouaké, Côte d’Ivoire. En fait je suis le père Gabriel, mais, ici,
Madeleine, le temps du festin dites Mamadou. C’est un pêché peut-être que de me
confier ainsi à vous mais vous êtes si gentille et j’ai le mal du pays.
Vraiment, est-ce que je vous ennuie ?
Madeleine secoue la tête en mettant le
modeste couvert. Étonnée et ravie de tant de confiance spontanée ; ce
n’est pas le genre dans ce pays de ruraux méfiants.
- A Bouaké il fait chaud, il y a de la
musique partout et les gens se satisfont de peu. Je travaillais bien à l’école
primaire et le maître m’a fait entrer au séminaire d’Abidjan, vous connaissez
ce grand port sur la lagune où notre ancien président a fait construire par un
célèbre architecte italien une cathédrale qui ressemble à un immense
éléphant ?
- Ce n’est pas très… catholique.
- Madeleine, vous avez mis le doigt
sur la complexité de mes concitoyens animistes. Ils mélangent un peu les croyances, mais il y a tant de chaleur
dans leur foi. Ils ont surtout retenu le message d’amour du prochain qui
convient bien à leurs habitudes de solidarité et leurs rites sont joyeux. Je
voudrais que vous voyiez l’entrée dans l’église des jeunes filles vêtues d’un
même boubou coloré et portant sur la tête des corbeilles de fruits, elles
chantent à pleine voix les cantiques sur le rythme donné par l’assistance qui
tape dans les mains… Pardonnez moi, Madeleine, parlez moi de vous.
- Oh, Mamadou, elle sourit timidement de son audace payée
en retour par le sourire ravi du père Gabriel, il n’y a rien à dire, je vis
seule depuis que la vieille dame dont je m’occupais est décédée je dois prendre
une décision difficile. Celle du moment est que je dois vous laisser au plus
vite avant que les commères jasent ! Merci pour l’accueil et le poulet, à
bientôt mon père.
- Hep, Madeleine viens par ici !
L’addition des apéritifs, du vin au
repas et son tempérament sanguin font rutiler la trogne suante de Fernand sur
le pas du Café des Amis :
- N’aie pas peur, grande bête, on veut
juste t’offrir le café. Madeleine fait taire sa méfiance, elle est moins que
jamais en position de s’imposer auprès des carebacais. Les coudes écrasés sur
la toile cirée à carreaux ornée de larges cercles vineux, il y a là, Ernest le
boucher, Emile le facteur et Anatole, le fermier des
« Chataigniers », Fernand garde-chasse est le seul auprès d’eux qui a
du galon et l’autorité qui va avec.
- Dis donc tu es passée bien fière ce
matin, même pas répondu à mon bonjour, gronde Anatole, mais t’inquiète, on est
pas là pour te gronder mais pour discuter. Il est comment le curé, à part
d’être noir, Ernest s’étouffe de rire en secouant ses deux doubles
mentons ?
- Il est très sympathique et ne
demande qu’à s’intégrer.
- Bien. Alors écoutez intime Fernand.
Je l’ai vu en survet et contre le mur de la cure il y avait un chouette vélo.
- Et alors, je savais pas que tu étais
de la pédale !
- Quel couillon cet Anatole ! Si
vous saviez lire vous sauriez que le 1er juin prochain c’est cette
année à Auch qu’aura lieu le championnat de France cycliste du clergé. On y
inscrit notre curaillon en lui promettant de le nourrir, l’aider et d’aller le
dimanche à la messe. Oui,
je sais c’est du chantage et pour nous un putain de sacrifice mais y faut ce
qui faut ! Vous avez vu le poulet ? C’est pas une grenouille de
sacristie et j’ai pensé à Emile qui court les critériums régionaux, pour
l’entraîner. Vous imaginez les retombées sur Carebac s’il gagnait !!!
Madeleine ahurie contemple ces têtes
obtuses si peu entraînées à penser, yeux et bouche grands ouverts, Un peu de
bave coule sur le marcel crasseux d’Anatole.
- Toi, petite il t’a à la bonne, il
t’écoutera si tu lui expliques qu’en plus on a décidé que tu serais sa
servante, puisque tu n’as plus d’emploi, et que tu pourrais t’occuper de son
ménage, linge, cuisine ; en fait il serait traité comme un type qui va aux
jeux Olympiques. Attends y'a aussi M. Maubert de « Chasse, pêche et
nature » qui trouverait un peu d’oseille dans son parti pour sponsoriser
le truc. C’est pas bien pensé ça ? Madeleine n’ose pas montrer combien
elle est ravie par le plan de ces guignols :
- Et le père Gabriel il y gagnerait
quoi ?
- Quoi ??? Mais être le champion du village dès avant
la course, rameuter du monde à la messe et vivre comme un nabab et toi avoir un
boulot pépère et bien nourri.
C’est ainsi que dès le lendemain à
potron-minet et messe dite, Emile et Gabriel partent pour le premier
entraînement pendant que Madeleine fraîche et joyeuse prépare un repas
« spécial ».
Jour après jour tout le village se
mobilise, faisant bloc autour du projet, la cure déborde de denrées, des
équipements dernier cri amenés par M. Maubert. Il faut dire que dès le premier
jour Gabriel s’était révélé être un sportif exceptionnel et même les plus
chenus du village échangeaient des recettes trouvées sur « L’Équipe »
et se rappelaient le pourquoi, des vainqueurs du tour de France ! Même les
femmes se passionnent. La femme de Firmin avait « emprunté » chez son
dentiste, à Condom, une revue de diététique et commandait dans une maison
spécialisée des produits « compléments
alimentaires non dopants ».
Madeleine avait été priée de déguerpir par l’héritier de la
ferme, un pharmacien cossu d’Auch qui lui avait à peine laissé le temps de
faire ses légers bagages. Au cas où cela ferait problème le conseil municipal
donna sa bénédiction laïque, en assemblée exceptionnelle, à l’installation de
Madeleine auprès de Monsieur le Curé. Elle en était si heureuse, vivant près de
Mamadou-Gabriel dans une joyeuse entente fraternelle. Elle pouvait enfin ouvrir
son cœur, ils se sentaient tous deux chaque jour plus proches, en tout bien
tout honneur !
Le village soudé dans ce même projet
n’avait jamais été si heureux. Les jeudis quand le père Gabriel bouclait ses 80
ou 100 kms il y avait pour l’encourager des gens des villages voisins jusque là
assez peu solidaires. Le père Gabriel était devenu la coqueluche des enfants,
auxquels il racontait comment on nourrissait les crocodiles gardiens du palais
présidentiel. Il avait appris à jouer aux quilles de neuf où chacun le voulait
comme partenaire, et quand il pleuvait il initiait, qui voulait, aux mystères
du boulier de l’aouélé.
Le dimanche l’église fleurie était
pleine comme jamais. Parmi les plus réfractaires, Ernest reconnaissait se
trouver meilleur à la fin de l’office « où, ma foi, on apprenait plein de
choses intéressantes » !
L’automne passa ainsi, puis l’hiver,
et le printemps arriva et mai dans un délire de soleil, de tournesols et de
cerises juteuses. A Auch le trente mai il y avait une quarantaine de
participants au « contre la montre ». Gabriel n’en fit qu’une
bouchée. Certains découragés ne se présentèrent même pas le lendemain et
Gabriel gagna la course en ligne et le championnat avec une avance
historique !
Le retour à Carebac fut homérique et le vainqueur porté
en triomphe et bruyamment célébré.
C’était l’euphorie générale.
Les persiennes sont fermées et le
soleil passe par rais lumineux qui scintillent sur le parquet de chêne parfumé
à la cire d’abeille. De temps en temps la brise joue dans les branches du grand
cèdre et le parallélisme des rayures se brouille sous le regard pensif de
l’abbé Damien. Que répondre à Monseigneur toujours si bien informé et aux
décisions pleines de sagesse ?
- Bien sur que le père Gabriel est
aimé de ses paroissiens mais il ne devrait être qu’un modeste moyen de faire
aimer le Seigneur au travers de sa personne.
- Il parait que l’église est pleine
tous les dimanches, et les habitants du village n’ont qu’à se louer du
dévouement du père en toute circonstance, à n’importe quelle heure du jour et
de la nuit il visite malades et personnes âgées.
- Enfin, l’abbé, soyons raisonnables
qu’est que c’est que cette manifestation bruyante, indécente, après un exploit
sportif remporté par un ecclésiastique ? A-t-il eu la modestie qui
s’imposait ?
- Savez-vous, qu’on m’a rapporté que
sa servante n’a pas l’âge canonique et, que vient faire en la matière, une
décision municipale « d’arrangement »… Où allons nous ?
- Non, l’abbé je ne peux vous suivre
dans votre généreuse défense, je dois sévir immédiatement.
- Puisque Gabriel aime tant le vélo,
nous allons l’envoyer dans le Nord… il aura pour ses loisirs l’enfer des pavés
à sa disposition.
- Vous allez l’abbé, prendre quelques courriers. Que ma
décision soit immédiatement appliquée. J’irai, dans quelques temps, faire une
visite à Carebac pour calmer les esprits, j’en profiterai pour pousser jusqu’à
Rejenac. On m’a parlé d’une affaire de pédophilie, évidemment c’est moins grave
que l’affaire Gabriel, mais il est de mon devoir de calmer les plaignants et
prévenir un possible scandale.
Le père Gabriel, son beau visage gris de chagrin, à été
accompagné à la gare par une délégation de ses ouailles certaines en larmes.
Madeleine était absente.
Ce matin radieux, dans une aube
lumineuse égayée du pépiement des oiseaux, Fernand à décidé de traquer le
braconnier du coté du moulin. Il glisse sans bruit dans les herbes mouillées de
la rive et baisse la tête en passant sous les branches basses du grand saule.
- Mon Dieu ! Fernand aperçoit un
corps dans l’eau entre les feuillages. Mais c’est Madeleine dont les longs
cheveux dénoués ondulent dans le courant !
Vite alertés Anatole, Ernest, Emile et
les autres sortent le corps de l’eau et l’étendent sur la prairie. Les yeux
grands ouverts de Madeleine reflètent le bleu du ciel, sa robe de coton léger
colle à ses formes harmonieuses.
Béret à la main, les hommes ont le visage grave.
-
Putain de putain, qu’elle était belle et on ne le savait pas…
je pense que cette histoire est de ton cru elle est pleine de rebondissement,
RépondreSupprimeret la fin est terrible
nous sommes dans un crescendo des horreurs de certains comportements.. bravo.
ta plume est superbe tous les détails nous donnent à y être nous pleurons Le père Gabriel et madeleine.
je j'ai une commande dans le sens des récits de vie
je te réserve cette histoire
et le Gers je connais bien
bravo
C'est du Maupassant
RépondreSupprimerH5
non c'est du manouche
RépondreSupprimerquoique la fin pourrait être celle d'un maupassant
gros bisous
Conte cruel, savamment écrit.
RépondreSupprimersuper... je me suis laissée transporter par cette lecture
RépondreSupprimerOphélie était belle aussi
toutes les femmes qui flottent sur les remous et y laissent leur vie sont belles. j'ai beaucoup aimé la chute, le " on ne le savait pas"... c'est souvent comme ça dans la vie, pour bien des choses, mon amie
je t'embrasse