Les taches d’ombre et de soleil se déplacent en souplesse
comme le pelage d’une panthère à l’affut.
Les larges feuilles du catalpa dansent dans la brise de
juin, la peau soyeuse de Claire brûle et se rafraichit au gré du vent. Allongée
sur le transat, les yeux mi-clos éblouis
par ces fantaisies lumineuses, Claire rêve dans un demi sommeil. Elle a
toujours été une contemplative
émerveillée par les beautés de la nature et celles que les artistes
offrent à qui sait prendre le « plaisir des yeux »…
Aujourd’hui c’est différent elle tente de comprendre son
attitude, que par moments elle qualifie de raisonnable, parfois de totalement
aberrante. Pourquoi a-t-elle rompu brusquement et sans explication avec Alain,
son doux amoureux… intermittent .A la seule pensée de son nom son cœur se pince
douloureusement ; bien sûr ; elle l’aime toujours.
Folie évidente que de s’attacher à un homme marié. Comment
résister à cette tornade de rires, de gentillesses et de baisers ? Etait-il sincèrement amoureux ? sans doute ;
il y avait des années que cela durait. Claire
avait vite réalisé que de toute manière elle représentait pour lui, au minimum,
le cadeau appréciable d’une présence fidèle, d’un amour absolu dénué de griefs,
de reproches, même de la plus modeste exigence. La présence d’Alain était
uniquement source de joie, son absence de plus en plus difficile à supporter.
Il ne lui cachait rien de sa vie conjugale, de leurs sorties, leurs voyages…
Elle était d’accord sur tout ; leur contrat verbal tenait
en peu de mots : pour le meilleur pas pour le pire... Puis il y avait eu l’accident. Il n’en avait
rien su ; Mme et Mr passaient un
mois au Brésil, toute communication impossible. Alain et Claire cultivaient à
l’égard des autres, par jeu autant que
par prudence, le secret absolu. Pas d’amis communs. Alain de retour de Rio avait tenté de reprendre contact mais Claire
avait condamné sa porte, son téléphone. Condamné aussi son cœur à souffrir
d’une absence d’autant plus cruelle qu’elle l’avait provoquée. Elle ne
supporterait pas de la part de son amant une gentillesse apitoyée, mieux valait
trancher dans le vif… comme on l’avait fait de sa jambe juste au-dessous du
genou.
Deux mois que ne retentissait plus le matin le tendre appel
du portable, qu’ 'elle ne lisait plus de S M S pleins d’humour qu’elle n’avait embrassé ses lèvres fermes ,
deux mois que sa maison n’était plus animée par l’harmonieuse silhouette
d’Alain, égayée par sa voix sonore et joyeuse. Tout était donc fini. Cette
boule douloureuse bloquant en permanence sa gorge ? l’accident certes,
mais le manque d’Alain plus sûrement encore.
C’était l’heure du rendez- vous avec le kiné .
Gérard Tournaire rangeait son matériel de soins à domicile
dans le coffre de sa Twingo d’un modèle ancien. Jeune, grand, athlétique,
bronzage de surfeur (qu’il est), tignasse ensoleillée au désordre savant et
regard bleu pervenche. Une insulte vivante aux éclopés qu’il visite chaque
jour. Il a mis au point un discours dévalorisant sur sa personne qu’il détaille devant les plus
atteints de ses patients sur le modèle nippon de : « mon indigne
fils »…Quand il masse les lombaires du colonel Prescott il bafouille en
anglais barbare(il possède pourtant parfaitement cette langue) ce qui réjouit
le vieux militaire. Le rire, quel remède ! Gérard est une anthologie des
extraits les plus désopilants de Coluche, Desproges, il se renouvelle avec la jeune génération, comme Tsamère et surtout Ferrari
qui sait si bien tourner en dérision les situations les plus atroces…
- Bonjour, monsieur Loyé,comment va ce matin ? Le
pauvre vieux grabataire sourit de toute sa bouche édentée ;
- Mieux quand je vous vois, et baissant le drap sur son
petit corps étique dont Gérard mobilise les articulations, dites moi où en sont
les amours de la boulangère ?
- Figurez vous que, pataud comme je suis, j’ai mis les pieds
dans le plat, plutôt dans la pâte et…
Le vieillard essuie
des larmes de rire, sacré Gérard il en a toujours une bien bonne et le quart
d’heure de soins, eux sérieux, passe trop vite.
Gérard reprend sa voiture de « fonction »,
personne dans sa tournée ne l’a jamais vu au volant de sa B MW qui dort toute
la semaine dans le garage de son appartement de Deauville où il vit avec son amie,
la jolie directrice de la B.N.P dont il ne parle jamais .J’ai tellement de
défauts que je n’ai pas trouvé l’âme sœur, ment- il avec aplomb…
Non, non, ce n’est pas de la triche, il paie ses impôts et
dans sa vie privée il est d’une scrupuleuse honnêteté, mais il estime
devoir cacher dans l’exercice de sa profession, par une sorte de pudeur, son
éclatante réussite dans tous les domaines.
Encore un vieillard, une dame aux os de verre, immobilisée
par une fracture à problématique consolidation
et que Gérard manipule avec un art délicat.
- Vous prendrez bien une tasse de café, Josiane a fait des madeleines.
Josiane, petite, sers donc Gérard, il a l’air fatigué. Ah ! Ces mémés,
qu’il s’interdit d’appeler ainsi, elles sont tellement touchantes avec leurs
attentions. Comment refuser ?
Maintenant c’est le tour d’un bébé affligé d’une bronchite sonore,
Gérard doit appuyer sur le petit torse fragile aux fins d’expectoration. Cris vrillant
les tympans.Si Gérard n’était pas persuadé des bienfaits de la manipulation il
abandonnerait cet exercice qui le rend nerveux.
Dernière visite de la matinée, Melle Claire Vernal. Seulement
de la joie.
Gérard la connaissait avant son accident, il l’avait
débarrassée d’une douloureuse sciatique. Immédiatement séduit par la beauté, le
charme de la jeune femme, Gérard avait su déceler chez elle l’éclat que seule
peut posséder une femme amoureuse. Dommage, il aurait bien postulé au rôle
d’accompagnateur de cette ravissante
artiste peintre qui vivait apparemment
seule…
L’accident dont elle
avait souffert avait secoué tout le village. La voiture de mademoiselle Vernal avait été emboutie de
plein fouet par celle d’un couple criminel. En face à la place du passager, le
mari ivre mort, décédé, au volant sa femme avec, quand même, deux grammes
d’alcool dans le sang ! La jambe droite de Claire Vernal avait été complètement
écrasée par le moteur. Il avait fallu l’amputer, quel drame pour une si belle
et talentueuse jeune femme. C’est son frère qui s’était occupé de son
hospitalisation et de toutes les formalités administratives ; Claire en
pleine dépression ne voulait rien savoir.
-Entrez, Gérard, la porte est ouverte, je suis dans le
jardin. Un tableau de Monet… dans un fouillis de fleurs, allongée sur sa chaise
longue, les béquilles posées contre le tronc de l’arbre, si gracieuse dans un
confiant abandon, la patiente pour qui il aurait travaillé gratis ! Parfois
sous la froideur distanciatrice du professionnel, l’homme a du mal à rester
insensible… Le seul contact de la peau de Claire lui procurait une émotion
intense, loin de nuire à la qualité des manipulations il savait qu’elle en
augmentait l’efficacité.
- Dès la semaine prochaine, chère mademoiselle, vous
viendrez l’après-midi dans mon cabinet pour des exercices plus dynamiques
.Votre genou est parfaitement cicatrisé et vous prendrez rendez- vous avec un prothésiste.
Très gentiment, Gérard prend son temps pour expliquer, son habituelle
délicatesse, là particulièrement attentive, les progrès extraordinaires faits
en matière de prothèse et comment, ainsi appareillée Claire pourra se déplacer
normalement avec une apparence identique à celle d’avant l’accident.
-Vous êtes très gentil Gérard, mais croyez moi rien ne sera
comme avant, ma joie de vivre a définitivement disparu. Pour une fois, lui qui
a la répartie consolatrice facile, ne trouve rien à répondre. Cette jeune femme
est vraiment désespérée ; il se sent impuissant.
La salle de rééducation Tournaire est réputée. On vient de
tous les coins du département y tenter
de retrouver des fonctionnalités défaillantes. Gérard a gommé le côté salle des
supplices inspirée de l’Inquisition avec une décoration colorée, un fond
musical bien choisi, des distributeurs d’eau, thé et café et surtout sa
présence bienveillante et ses conseils teintés d’optimisme.
Pour son premier jour, ce lundi, Claire se trouve entourée
par les joueurs de l’équipe de foot venus se débarrasser de leurs contractures,
d’une petite fille sa poupée sur la
poitrine qui exerce un triste bras atrophié sur des tenseurs muraux. Deux dames d’un certain âge rodent
leurs rotules neuves en bavardant avec animation. Des habituées sans doute. Claire
doit muscler la cuisse de la jambe amputée, bien plus mince que l’autre. Ces
exercices ne sont pas douloureux. Dans la vaste salle entourée de miroirs, les
patients sont tous égaux, anonymes, définis seulement par leur prénom et
leur handicap.
A sa droite, d’un footballeur qui pédale comme un fou émane
une odeur qui la bouleverse ; le parfum d’Alain. Alain, toujours Alain.
Au bout d’un mois patiente et Kiné sont très fiers des
progrès réalisés.
L’assistance se modifie régulièrement, les deux dames aux
rotules rénovées ont disparu, de nouveaux visages apparaissent. Aujourd’hui on installe à côté
de Claire une jeune femme qui explique qu’elle sort à peine de l’hôpital après
un accident de voiture, bassin brisé il
a fallu attendre pour lui placer une prothèse à chaque hanche. Elle se raconte
d’abondance comme tous les rescapés de catastrophe. Ecoutant d’abord d’une
oreille distraite Claire regarde avec attention cette patiente si bavarde au
visage couturé de frais. D’une voix geignarde elle ressasse son malheur : elle
a perdu son mari dans l’accident où elle
a été multi-traumatisée…Elle détaille sans arrêt les circonstances de ce choc
dont elle se dit victime…
Avec horreur Claire réalise qu’il s’agit de la conductrice
ivre qui a brûlé le feu rouge et percuté
son véhicule ; quelle garce !
Une bouffée de haine
monte, brûlant ses joues. Là, gisant non loin, étirée sur sa table par
différents contre- poids gît celle qui lui a tout pris, son autonomie physique,
et plus indirectement, privée de l’amour de sa vie, Alain… elle ne peut
réprimer un sanglot…
De séance en séance le ressentiment se transforme en un
projet monstrueux.
Pendant qu’elle se livre machinalement aux mouvements
répétitifs conseillés, elle échafaude un plan machiavélique. Jour après jour
elle refait en imagination les gestes dont elle espère une amère vengeance.
Elle a repéré, le système de poulies ; de câbles lestés de sacs de sable
qui maintiennent en extension son
odieuse voisine. Elle met au point les gestes brutaux, d’apparence accidentels qui
lui permettront, d’une béquille discrètement efficace, de détruire brutalement
cet échafaudage. Elle jouit à l’avance, pendant qu’elle tournera innocemment à
l’angle du couloir d’entendre les hurlements
démentiels de cette femme, les hanches arrachées…
A ce moment du scénario, le miroir, qui normalement doit
permettre de contrôler la perfection des exercices, lui renvoie, au dessus de
son genou martyrisé, un visage convulsé de haine, une bouche tordue par un
ricanement silencieux, un regard aiguisé par la méchanceté…Ce visage elle sait
que ce sera le sien pour toujours. Claire a peur d’elle-même mais elle ira
jusqu’au bout.
C’est pour aujourd’hui décide Claire.
A coté, cette pauvre idiote qui déblatère et niaisement fait
participer toute la salle à son plaisir de progresser ne sait pas ce qui l’attend !
Claire tout en s’appliquant à sa musculation-alibi rumine encore une fois son plan.
Le téléphone sonne, par la porte vitrée de son bureau on voit
Gérard répondre, il entre dans la salle, s’approche de Claire :
-Aujourd’hui ce n’est
pas votre frère qui viendra vous chercher c’est un certain Alain qui vient
d’appeler.
Alain !
Le soleil se lève dans le cœur de Claire, dans le miroir son
visage sourit, heureux, celui qu’elle aura dorénavant.
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Naaaon, je veux que l'autre connasse crève ! Mrfhghrgn.
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Supprimermoi aussi !!!!! tu es trop gentille
RépondreSupprimerbisous
je rêve, ou malgré la guibole en plastique , ça se termine " bien ", comme on dit dans les contes de féeS ?( je mets plusieurs fées, c'est mieux)
RépondreSupprimerpouequoi les autres sont-ils en colère ????
bisous
C'est vrai que nous, les filles, nous sommes des gentilles...
SupprimerJoli nouvelle : on marche !... Moi, ça ne me dérange pas que cela finisse bien. L'important est qu'on frôle l'horreur et qu'on se demande comment ça va finir...
RépondreSupprimerEt, en plus, le titre est très bien... (Désolée pour le "e" qui manque dans le commentaire au-dessus). C'est fou ce qu'on fait des fautes sur le Web!)
RépondreSupprimerChère Monika "e" ou pas "e"...
Supprimer"L'important c'est la rose", merci de me l'avoir amenée.
J'adore le "corps étique", et tic!
RépondreSupprimerSinon avec ces histoires de membre fantôme...
En avant l'imagination!
Et tic et toc un bisou pour toi!
Supprimerencore une de ton cru, manouche signe je te prie tes textes.
RépondreSupprimerje la copiais , je lis mieux sur papier et je te ferai retour
bisous
merci pour ton commentaire sur le couper la langue toi la manouche des Sainte marie de la mer. kiss
Hay algunos detalles que se me han escapado, hace tiempo que no leo nada en tu idioma. Pero tu blog me está haciendo volver al buen camino. Así que lo releeré con el diccionario junto a mí.
RépondreSupprimerMe ha gustado esta historia.
Accolades... era esa la palabra, no? :-)
...mejor beso, aun mas: besoS...
SupprimerL'amour, ça lui fait une belle jambe à notre amie Claire?
RépondreSupprimerC'est clair ?
Henri
J'Hen ri de bon coeur !
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