mardi 28 mai 2013

Prison .




J’attache mon vélo à un arbuste desséché jailli du trottoir contre le haut mur gris sale dont la vue me donne  le frisson quelle que soit la saison.
Je sonne à la petite porte et j’attends. Montrer patte blanche, ouvrir le  sac, supporter l’odeur de la cigarette de papier maïs que le gardien- chef laisse pendre de sa lèvre lippue. Il me répugne. Je m’engage dans le couloir peint en vert caca d’oie derrière les charentaises traînantes du porte- clef qui, l’œil embué, me raconte les péripéties de sa procédure de divorce. Cause toujours, je me contrefiche de son histoire banale pendant que je pense méchamment : comment peut-on épouser un gardien de prison ?
A chaque porte le trousseau cliquette, le battant s’ouvre, nous passons, la lourde ferraille se referme en gémissant,  je ne m’y ferais jamais.
Combien de ces portes franchies avec ces profonds bruits  métalliques porteurs d’angoisse ? Le parloir est vitré de tous les côtés pour permettre au maton qui semble en alerte d’intervenir au moindre geste suspect. Je n’ai pas peur dans cette odeur douceâtre d’urine et d’eau de javel, seulement un énorme dégoût mâtiné d’un chagrin que je n’arrive pas à m’interdire. J’attends les détenus avec toujours avec la même sensation de gêne, moi qui jouis de ma liberté. Bien sûr, je la mérite… Une serviette bourrée de documents, une tenue très stricte sont censés compenser mon évidente jeunesse, provoquer un climat de confiance, enfin je le crois naïvement.
Pourtant celui que je viens voir n’est pas de ceux qui suscitent la compassion. Inculpé de viol. J’aurais pu refuser ce cas  des plus délicats pour une stagiaire mais il faut bien que j’apprenne à mettre en pratique  ce qu’on m’a appris : il n’y a pas de cause indéfendable même si le dossier est complètement à charge, les faits indéniables, dans tout être il y a une histoire douloureuse, une part d’humanité parfois bien difficile à trouver.
C’est tout le challenge.
J’étale sur la table de bois brut râpeux quelques éléments  de ce lourd dossier que j’ai étudié chez moi au bord de la nausée. J’interviens au titre de la commission d’office pourtant je n’ai pas l’impression de perdre mon temps et  m'occupe de ces affaires avec le même zèle que si je devais défendre un prétendu escroc bien nanti, l’amour du métier sans doute. Beaucoup de travail, pratiquement gratuit, mais ce cadre déontologique convient parfaitement à mon idéal professionnel. Je sais, certains vieux membres de barreau en ricanent ouvertement, soulagés de pouvoir échapper à cette obligation
D’après son état civil il est tout jeune mon client. Je pose  sur les entailles du bois l’habituel paquet de cigarettes auquel j'ajoute cette fois une plaque de chocolat, J’ai suffisamment d’empathie pour découvrir ce qu’il y a de défendable en lui.  Même si les circonstances sont parfaitement indiscutables je dois déceler ce qui peut expliquer, bien sûr sans l’excuser, son acte criminel.
Je  dois avoir confiance en moi.
De nouveau ce vacarme  des portes, joué dans l’autre sens qui m’agresse comme si j’étais moi aussi coupable et ne pouvais plus ressortir. Un gros maton  qui doit dépasser le quintal efface sa brioche pour laisser passer un tout jeune homme minuscule ; comment ne pas avoir pitié ?  Je me lève main tendue.Le détenu marque un temps d’arrêt, tout petit au milieu du parloir, maintenant que je le vois j’ai  vraiment envie de l’aider.
Sur son visage chafouin  se dessine une grimace de dégoût :
- Putain,  en plus y m’ont envoyé une femme !

8 commentaires:

  1. Ben, oui... des fois c'est dur de conserver ses idéaux...

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  2. Le monde carcéral.....Un monde de violence.

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  3. coucou,
    Tu as le don,
    pour nous embarquer..
    On s'y croirais..
    bizzz
    claire

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  4. Au début je crois vraiment que le but du jeune avocat est de protéger le veuf et l'orpheline ...

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  5. Magistrale, Manouche.

    Je lui aurais filé une bonne claque, dossier en main.
    C´est dommage de voir s´effondrer nos idéaux pour des types qui ne valaient pas la peine et qui violent aussi nos rêves.

    Bizzz!!!

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  6. Tus escritos son casi todo una apologia.

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