Que faire du corps ?
Ce matin quand je suis parti au travail Line était triste. Peut- être le manque de
nouvelles ? Comme toujours ravissante dans son déshabillé, cette chose
rose, légère et transparente qui mérite bien son nom. Elle émiettait une
biscotte le regard vide errant sur la nappe de son portable silencieux à la
tasse de thé en fine porcelaine de Limoges, un petit cadeau. Je voyage
beaucoup, c’est ma fonction et chaque fois je ramène à Line un petit souvenir. A Line, ma Câline ma
femme. Si belle, si intelligente, le seul mais combien merveilleux cadeau que m’ait
fait la vie. En sortant de la maison sous le soleil de juin déjà chaud qui
illumine les feuillages vibrants de la grande avenue, je pense que c’est sans
doute exceptionnel au bout de tant d’années de mariage d’être aussi amoureux,
amoureux à en être fou.
Dans le garage, ma voiture de fonction est remplie dans tout
l’espace passager de cartons façon bois contenant les jeux complets de couteaux
de la grande fabrique que je représente.
Évidemment que je ne
l’ai pas tué avec un de ces couteaux de cuisine qu’ils contiennent, le cas
échéant il m’aurait trahi. Non, je l’ai étranglé, facilement, avec la
cordelière de sa robe de chambre. Je ne pense pas que cela s’appelle un
déshabillé pour un homme, cette chose soyeuse bariolée que portent les vils
séducteurs dans les séries américaines. Déshabillé--- déshabillés combien de
fois l’ont-ils fait, chez lui, chez nous ?
- Bonjour André il y a longtemps que je ne suis venu vous
rendre visite ?
Sur le trottoir de « La belle Auberge » à la
façade célèbre croulant sous une glycine odorante, le ventre avantageux corseté
de trois tours d’un tablier immaculé, André D… le célèbre chef étoilé vérifie
les menus installés dans un grand cadre doré.
- Te voilà petit, toujours chez « Lag… » ? Tu connais bien ton boulot parce que justement
j’allais t’appeler, ça s’use les couteaux, ça s’use. Allez, entre on va s’en
jeter un derrière la cravate.
Je vais garer ma voiture à l’ombre, il commence à faire
chaud et je pense à l’autre dans le coffre.
La grande salle est fraîche. Les tables d’un blanc lumineux
dans la pénombre sont déjà dressées, argenterie et cristaux, pour le repas de
midi.
- Je suis contente de vous voir s’exclame madame D…en me
sautant au cou dans un tintement or et perles. Venez dans la cuisine, Eric me
disait justement que le grand couteau à découper les viandes était complètement
usé.
Sur l’étal, dans un
coin de la cuisine aseptisée, carrelée de blanc, le commis, tourne, retourne une grande pièce de veau, détachant
un grand morceau de chair à chaque mouvement d’une experte main sanglante.
Pourquoi est-ce que je pense à une morgue ?---- Ce découpage, je ne pourrais jamais.
-ça ne va pas, vous
êtes tout blanc ? Je repousse l’invitation de rester déjeuner au prétexte
d’un autre rendez-vous. Les D… sont étonnés ils viennent de me prendre toute la « Série de couteaux
professionnels haut de gamme » de quoi suffire en chiffre d’affaires de
ventes pour toute la semaine. Ils doivent penser que je fais de l’excès de
zèle.
C’est vrai que je veux faire un autre arrêt, non
professionnel celui-là. Je débraye un peu sec et ça fait ploc dans la malle. Il
ne se laisse pas oublier, le salaud.
La famille dite d’accueil où j’ai passé mon enfance
orpheline, vit sur la départementale non
loin de « La Belle Auberge », je n’y suis pas revenu depuis ma
majorité. Je sens confusément que quelque chose de plus que la proximité sur ma
route me pousse à la revoir…
Dans la cour, béton et gravier, un gamin d’une dizaine d’années,
une cuvette sur les genoux écosse des petits pois. Il lève sur moi un regard
aussi triste que devait être le mien.
Ils sont là tous les deux dans la cuisine qui sent l’eau de
javel. Pour être propre c’est propre. Ils sont étonnés, me reconnaissent à
regret, sans aucun mouvement de sympathie, avec la même froideur que j’avais
connue dans mon enfance et qui m’avait laissé une terrible faim d’amour. Leur
seule réaction est la méfiance :
- Qu’est-ce que tu veux ?----- Comment
comprendraient-ils ce que je venais chercher même si c’était sans trop y
croire. Je retraverse la cour sans que le gamin lève la tête de sa bassine de
cosses.
Je bifurque dans un chemin creux et m’affale en larmes sur
le volant. Line doit être à table. Elle est très bonne cuisinière. Elle disait
que rester à la maison et s’occuper de
moi suffisait à son bonheur. Qu’est-ce que c’est que le bonheur ? Je
pensais être heureux. Et puis, voilà.
On doit commencer à s’inquiéter de voir
encore fermés les volets du pavillon de notre voisin : « Ce
riche écrivain, charmant célibataire, très aimé
dans le village »…
Il a fait de ma Line une femme infidèle et de moi un
assassin.
Mais que vais- je faire du corps ?
Mais pourquoi il l'a pas laissé sur place, ce con? Crime de rôdeur et lui insoupçonnable parce que justement, il aurait pu se servir des couteaux et le mec a été étranglé... Maintenant, il est fait comme un rat...
RépondreSupprimerLes assassins, même occasionnels, ne lisent pas assez Agatha Christie...
Ah, la la!!!
Hercule Poirot sors de ce corps !
SupprimerNon, moi c'est miss Marple; j'ai pas de moustache!
SupprimerDrame de la jalousie ! A quoi ça mène l'amour( ou la possession) !
RépondreSupprimerGenial. Merci pour votre visite !! ;-)
RépondreSupprimerWaouh!!!! C'est toi qui as écrit ça Manouche ?! J'adore et j'attends la suite... Tu ne peux quand même pas t'arrêter là.... Ou alors il faut absolument nous écrire une autre nouvelle du même acabit....
RépondreSupprimerJ'espère ne pas rater la suite s'il y en a une. Je vais m'absenter plusieurs jours et je ne sais pas du tout si je pourrai avoir une connexion (ou même le temps de me balader sur le net)
Bonne fin de journée à toi :-)
Agatha Christie c'est parfait mais ça manque de vécu.
RépondreSupprimerPour parler de crimes elle manque d'expérience. A-t-elle tué pour savoir ce qui se passe dans la tête d'un assassin ?
Je manque aussi cruellement d'expérience...mais je n'ai pas dit mon dernier mot !
SupprimerIl ne te reste qu'à affuter tes armes... et à choisir une victime.
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RépondreSupprimerBonjour, manouche.
Vos œuvres sont embrassés dans votre douceur.
Et doux messages charmes mon coeur.
La prière pour tous la paix.
Je vous souhaite tout le meilleur.
Passez une bonne journée. Du Japon, ruma ❀
Damned ! Tu as commencé le 4ème sans nous ?
RépondreSupprimerLa vengeance est un plat qui se mange froid. Line aimera probablement une tranche de rôti froid avec bien sûr du cornichon.
RépondreSupprimerIl aurait pu penser au pendu... laisser croire à un suicide??
RépondreSupprimerBizz, Manu