- Ma chère Cora, pardonnez-moi d’avoir été absente si longtemps mais je devais…
- Ne t’excuses surtout pas, mon petit, je sais tout ce que
vous, les actifs, avez à faire et je suis simplement très heureuse de te voir. Tu tombes bien, j’ai fait une crème
renversée au caramel qui descend dans la gorge comme le petit Jésus en culotte
de velours. Ah ! Tu ne connaissais pas cette expression, normal, elle
vient du temps de mon enfance. Non, la portion n’est pas trop grande, c’est
très léger, il n’y a qu’une douzaine d’œufs…
…Mon enfance, elle est si loin ! Je pense que parmi
toutes les évolutions de la société ce qui a le plus changé c’est le statut de
l’enfant. Depuis très longtemps, jusqu’à une centaine d’années, il était le
même.
L’enfant n’était guère plus qu’une chose dépendante des
adultes, sans personnalité propre. Il n’était
pas reconnu en tant que tel mais considéré comme un petit d’homme, pas, trop ou mal aimé.
- Vous m’aviez déjà dit
que vous avez connu l’époque ou la mortalité infantile était courante.
- Oui, et la perte
d’un enfant était bien sûr très durement supportée. On faisait beaucoup
d’enfants pour " remplacer" les petits disparus et si tu consultes
des registres d’était civil tu seras frappée de trouver pour des enfants nés
après des frères décédés, l’usage du même prénom, comme pour conjurer la
fatalité. J’ai connu le début des vaccinations et la réticence des parents
frappés par les nombreux accidents comme celui « des petits enfants de Lübeck » morts
après des injections défectueuses. Tu n’as aucune idée du niveau d’ignorance de
la majorité des parents concernant la physiologie des enfants. Quant à leur
psychologie on ne leur prêtait guère
d’esprit ni même de sentiments ou de sensations…
Le devoir des « Grandes Personnes » était d'en
faire au plus tôt, avec l’éducation que chacun estimait la bonne, des adultes responsables.
Ils devaient plus tard être capables de mener une vie d’honnête labeur,
d’assurer une descendance et de prendre soin des vieux jours de leurs parents.
- Est-ce vrai qu’il y avait encore des châtiments
corporels ?
- Ta mimique me fait rire ? Ne crois pas que nous
étions tous des enfants martyrs comme on en voit hélas encore maintenant. Non,
bien sûr, mais personne ne mettait en doute
l’effet éducatif, dont nous profitions en général, d’une paire de
claques,d' une fessée ou de quelques coups
de martinet sur les mollets.
- O Dolto O
Russo !
- O pipo plutôt !
J’étais d’une sagesse
littéralement imbécile mais quand même souvent punie dans la mesure où mes
parents voulant faire de moi une « perfection » trouvaient que j’étais souvent « loin du
compte ». Ils avaient été très déçus que je ne sois pas née le Robert tant
espéré (Tu as raison : O Dolto !) Et, sexe faible, je devais essayer
d’atteindre les qualités qu’on ne prêtait qu’aux mâles. Il y avait ce qu’il
fallait « faire » et ce qui était défendu, pour ma docilité ce
n’était pas un problème. Plus difficile, le comment il fallait
« être ». Mes jeunes années dynamiques, curieuses, joyeuses étaient à
l’étroit dans ce moule de courage, d’esprit de sacrifice de modestie. Je devais
comprendre, pauvre fille, que la première vertu étant l’obéissance aveugle à mes
parents j’étais sensée n’avoir ni autre
désirs ni autres ambitions que ceux qu’ils m’imposaient « pour mon
bien » en particulier celui de rentrer dans le rang, de passer inaperçue,
fondue dans le modèle social en cours.
- Mais vous deviez être très malheureuse ?
- Pas du tout comme un petit animal bien dressé, j’avais ma
récompense : l’inestimable assurance de l’affection de mon père et ma mère. Je ne devais jamais la tromper. C’est maintenant, vois-tu, que je suis en
colère Pas contre eux, aimants, sûrs que leur façon de faire était la
meilleure, mais contre moi-même qui n’ai pas été capable, même, légèrement, de
m’imposer ! Ce rabotage bien
intentionné a influé sur toute mon existence, avec un gros paquet de complexes
d’infériorité, un manque total d‘ambition, aucune confiance en mes capacités,
une timidité maladive, une propension à abandonner dès qu’une réussite se
profilait… Honnêtement, je ne me suis jamais plainte de ce caractère fabriqué, grâce
auquel, finalement, ma paresse naturelle s’épanouissait pleinement…
- Mais tout de même vous vous êtes réalisée dans la
vie ?
- Réalisée… il aurait d’abord fallu que je sache qu’elle
était ma réalité puis que j’aie le courage l’imposer à moi-même et aux autres …Tu
ne le croiras pas mais quand après avoir obtenu
près l’Université de Bordeaux un diplôme de Mathématiques- Physique- Chimie,
j’ai été reçue au concours d’entrée à l’Ecole
d’Ingénieurs je me suis laissée
convaincre de mon incapacité à aller plus loin.
- Alors ça je ne le crois pas ! Qu’est-ce qui s’est
passé ?
-Nous étions très nombreux à nous présenter, pour 16 places.
J’avais été reçue seizième et seule fille. Force toi à imaginer le double
handicap… Aussi quand j’ai été appelée dans le bureau du directeur j’y suis
allée tête basse. Monsieur Cau, le directeur, était célèbre pour avoir refait (sans
ordinateur évidemment) les calculs pour la reconstruction du barrage de Génissiat.
-Quoi t’est-ce ?
- Cherche sur Wikipédia tu y trouveras sûrement le récit de
ce drame. La rupture du barrage avait dévasté la vallée et surtout causé bien des morts. Me voilà donc dans le bureau du génie qui me reçoit assis, minuscule, dans son grand fauteuil
et me toise par-dessus ses lunettes en demi-lune nouvellement inventées. –« Alors
c’est vous » ? - «-…. » -« Depuis
trente ans que je dirige cette école il
n’y a eu qu’une autre fille reçue au
concours et, me fusillant de son regard aigu par dessus ses verres, quand je
vous regarde je me demande si c’était bien une fille ! »
- Oh ! La brute ! Peut- être pensait-il vous faire
un compliment ?
- Cela m’étonnerait. Moi, toujours au garde à vous, il avait continué :-« Vous
imaginez ce vous allez souffrir en lanterne rouge… cinq années d’études si vous
arrivez au bout… et sinon des efforts pour rien, pas le moindre diplôme
intermédiaire ! Hein ? Hein ? » –« … » -«
Vous comprenez ? Vous n’êtes pas sotte et, ricanant, d’ailleurs qu’est-ce
que je ferais avec le bazar inévitable d’une fille au milieu de quinze garçons !
Soyez raisonnable, abandonnez».
- Et alors vous vous
êtes rebiffée, j’espère.
- J’ai obéi et ripé vers la fac de droit. Après une maîtrise
je suis devenue avocat et voilà.
- Et alors et alors ?
- Alors, laisse-moi regarder les cérémonies de la
commémoration du Débarquement. Ce 6 juin 1944 est tout frais dans ma mémoire
avec, intacte, la joie immense de tourner le dos à quatre ans de malheur.
C’était mon anniversaire
et j’ai dansé, dansé…
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Petite, j'ai retrouvé cette photo qui m'amuse, fais en ce que tu veux. Çà ne rigolait pas en fac de Sciences section M.P.C il y a plus de soixante ans! On ne pensait qu'à travailler. Pourtant je me demande maintenant si mes copains De Niro et Brad Pitt (!) n'étaient pas un peu amoureux de moi ...
Petite, j'ai retrouvé cette photo qui m'amuse, fais en ce que tu veux. Çà ne rigolait pas en fac de Sciences section M.P.C il y a plus de soixante ans! On ne pensait qu'à travailler. Pourtant je me demande maintenant si mes copains De Niro et Brad Pitt (!) n'étaient pas un peu amoureux de moi ...
Les temps ont bien changé. Maintenant ce sont les enfants qui battent leur professeur !
RépondreSupprimerEl arte de hablar és un don que pocas personas poseen,A veces después de hablar durante bastante tiempo,no dicen nada
RépondreSupprimerMe gustan, Manouche, tus charlas con Cora. Es buena conversadora y da una entrañable visión de la vida a través de la experiencia que dan los años.
RépondreSupprimerUn abrazo.
Je suis très heureux de revenir à ton blog pour lire ce grand entretien avec Cora qui est très emouvent. Merci a vous deux et merci pour ta bienvenue chez moi.
RépondreSupprimerBisous
Los ssueños,nos pueden ayudar a caminar con más serenidad
RépondreSupprimerSaludos
Très beau texte ! De Niro et Brad Pitt sont au top :)
RépondreSupprimerTu camina hacia la literatura,yo hacias la fantacia,quizas en un recodo del camino nos podremos encontar
RépondreSupprimerFantasias
RépondreSupprimerEt il y avait de quoi, quelle jolie étudiante ! J'avais cet âge là à la même époque, peut-être nous sommes-nous croisés au quartier latin ?
RépondreSupprimerBon anniversaire avec quelques jours de retard. Et je ne rajeunis pas non plus en constatant que je connais le petit Jésus en culotte de velours et que je n'ai pas besoin de chercher Génissiat !
RépondreSupprimerUne très belle dame tu restes encore...
RépondreSupprimerCe monde va trop vite, et aujourd´hui les enfants sont rois...
Avant le temps avait un sens pour eux.
Bizz, Manou.