A côté de Madeleine, Justine et
Séverine toutes rouges sous leur fichu reprennent leurs esprits et chuchotent
avec hargne :
- Mais quelle honte, ce n’est pas
possible,
- Ces sauvages que nous sommes allés
coloniser qui nous envoient un des leurs comme pasteur !
- Qu’avons-nous fait pour que l’évêché
nous punisse ainsi ?
Un sourd murmure court dans les travées.
- Il sait au moins dire la messe ce
sauvage? Moi je ne veux pas qu’il m’approche, nous allons porter plainte.
- Il parle français et le sermon n’est
pas mal mais est-ce qu’il pense comme nous ?
Madeleine tente un
« Chut ! » d’apaisement. Il est bien discret, pourtant les
« fidèles » se taisent et Madeleine reçoit en plein cœur le regard
reconnaissant du prêtre.
Le moment de la communion est un désastre, les enfants du
catéchisme s’avancent en traînant les pieds, suivis de Yolande l’aveugle et de
sa mère quasi centenaire ; Madeleine clôt la file.
C’est vrai que c’est curieux cette
main si noire à la paume rose qui tient l’habituelle hostie mais la bénédiction
est dite à voix très douce et Madeleine se sent apaisée comme les autres
dimanches.
Les modestes vitraux laissent passer
une lumière colorée qui accompagne Madeleine à la sortie de l’église sur le
parvis. Les ouailles se sont déjà dispersées et c’est du bistrot, refuge des
bouffeurs de curé, que montent plaisanteries et rires gras.
Au soleil tacheté par les platanes les
joueurs de boules tirent, pointent, mesurent comme si leur vie en dépendait.
Ils ne lèvent pas la tête au passage de Madeleine, silhouette discrète et sans
surprise.
Les boules se heurtent dans un
cliquetis métallique qui fait fuir les moineaux qui picorent sur le trottoir de
l’Hôtel du Commerce.
Je ne peux pas rentrer chez moi
comme si de rien n’était .
Madeleine rebrousse chemin, il faut que je réconforte ce
malheureux prêtre.
La porte de la sacristie est ouverte
et le prêtre affublé d’un survêtement, assis, dos arrondi, regardant ses
longues mains posées sur ses genoux, est immobile.
- Je peux entrer Monsieur le
curé ?
Le prêtre se lève d’un bond. Qu’il est
grand !
- C’est vraiment gentil de me rendre
visite, et, dans un sourire éblouissant, je ne suis pas particulièrement
heureux après cette première messe. Il est touchant ce grand gaillard dans son
désarroi ;
- Croyez, Monsieur l’abbé…
- Dites « mon père »…
- Ils ne sont pas méchants les gens de
Carebac, seulement ils ne sont guère sortis du village et ont été ahuris ce
matin.
- Pourtant, vous mon enfant, vous
n’avez manifesté ni hostilité ni étonnement. Le cœur de Madeleine s’emballe.
Cela peut paraître incroyable mais personne ne l’a appelée mon enfant avec tant
de douceur, Madeleine vouée dès le plus jeune âge à la DDAS et à une suite
chaotique et sans tendresse de familles d’accueil.
- Je suis compréhensif, d’autant que
vous avez raison ils sont « bien braves » comme vous dites, on m’a
laissé un poulet pour le déjeuner. Vous êtes seule ce midi ? Pouvez vous
le partager avec moi ?
Aussi rapidement que celui d’un enfant,
le visage du prêtre est passé de la tristesse à la gaieté. Un courage
extravagant chez elle, pousse la timide Madeleine à accepter.
Dans la minuscule cuisine de la cure
-Appelez-moi Mamadou, le prêtre a ouvert le poulet en deux avant de le placer
dans le four. J’aurais aimé vous le faire Atéké comme chez moi à
Bouaké-Bouaké, Côte d’Ivoire. En fait je suis le père Gabriel, mais, ici,
Madeleine, le temps du festin dites Mamadou. C’est un pêché peut-être que de me
confier ainsi à vous mais vous êtes si gentille et j’ai le mal du pays.
Vraiment, est-ce que je vous ennuie ?
Madeleine secoue la tête en mettant le
modeste couvert. Étonnée et ravie de tant de confiance spontanée ; ce
n’est pas le genre dans ce pays de ruraux méfiants.
- A Bouaké il fait chaud, il y a de la
musique partout et les gens se satisfont de peu. Je travaillais bien à l’école
primaire et le maître m’a fait entrer au séminaire d’Abidjan, vous connaissez
ce grand port sur la lagune où notre ancien président a fait construire par un
célèbre architecte italien une cathédrale qui ressemble à un immense
éléphant ?
- Ce n’est pas très… catholique.
- Madeleine, vous avez mis le doigt
sur la complexité de mes concitoyens animistes. Ils mélangent un peu les croyances, mais il y a tant de chaleur
dans leur foi. Ils ont surtout retenu le message d’amour du prochain qui
convient bien à leurs habitudes de solidarité et leurs rites sont joyeux. Je
voudrais que vous voyiez l’entrée dans l’église des jeunes filles vêtues d’un
même boubou coloré et portant sur la tête des corbeilles de fruits, elles
chantent à pleine voix les cantiques sur le rythme donné par l’assistance qui
tape dans les mains… Pardonnez moi, Madeleine, parlez moi de vous.
- Oh, Mamadou, elle sourit timidement de son audace payée
en retour par le sourire ravi du père Gabriel, il n’y a rien à dire, je vis
seule depuis que la vieille dame dont je m’occupais est décédée je dois prendre
une décision difficile. Celle du moment est que je dois vous laisser au plus
vite avant que les commères jasent ! Merci pour l’accueil et le poulet, à
bientôt mon père.
Bonjour Manouche .. trop bon pour moi .. Bonne semaine d'été heureux ..
RépondreSupprimerUna abraçada..
Pasan las estaciones,pasan los años
RépondreSupprimerBien, bien, je passe à la suite sans attendre... et sans messes basse...
RépondreSupprimerGros becs
Pauvre "Mon père, Mamamdou" dans ce trou...
RépondreSupprimer:-))