dimanche 7 novembre 2021

 I.T.G.V Hendaye – Paris. 

Les deux garçons, dans le compartiment côté couloir sont absents à tout ce qui les entourent. Certes ils sont sages, bien plus que les préadolescents d’il y a quelques années. Leur père a essayé d’engager la conversation. En vain ? L’un écouteur aux oreilles est affalé, béat les yeux fermés ; l’autre manipule son i pod avec une vélocité presque inquiétante. Quelle déception cette semaine de vacances à Biarritz ! Il s’en faisait une joie depuis le temps qu’il n’avait pas été seul avec ses garçons, ce sont ses petits quand même ! Ils sont élevés par leur mère, son ex-femme et le compagnon de celle-ci. Il avait espéré retrouver certains moments d’intimité comme quand ils étaient tout petits qu’ils se disputaient pour se lover sur ses genoux et prenaient sa main pour la passer sur leurs boucles brunes ou leur chatouiller le dos ; ils ronronnaient comme des petits chats . Certes ils sont maintenant à l’âge de toutes les pudeurs et des manifestations d’indépendance mais leur froideur inattendue à son égard l’a profondément blessé. Après un divorce traumatisant ils avaient été séparés trop longtemps , le lien était rompu et ne se renouerait pas. Les garçons avaient tourné la page ; il ne leur en voulait pas d’une attitude qui n’était sans doute qu’une réaction de protection mais il avait failli pleurer quand le plus jeune avait parlé de « papa » et qu’il savait qu’il ne s’agissait pas de lui mais de « l’autre ». Oui, un désastre cette semaine. Il avait plu presque tous les jours et le matériel de surf tout neuf était resté à l’hôtel. Pas question de les distraire avec une glace et un tour de manège. Il avait loué une voiture, excédant de beaucoup le budget prévu, pour leur faire connaître le Pays Basque, ils avaient suivi indifférents et boudeurs. Maintenant dans ce train il les ramenait à leur mère (étaient-ils avec elle aussi froids qu’avec lui ?) le cœur lourd, l’échec douloureux. Voudraient-ils le revoir plus tard ? Il en doutait .Et, lui, honnêtement, désirait-il refaire une expérience de ce type ? A Paris l’attendaient son petit studio solitaire et surtout sa recherche éperdue d’emploi. Il avait tout perdu en même temps, femme, enfants, maison, travail. « Tu n’es pas le seul dans ce cas » disait les rares amis qui lui étaient restés. Piètre consolation. De temps en temps son regard quittait le paysage défilant pour se porter sur les enfants avec une charge d’amour intense qu’il savait, hélas, incommunicable Dax :- dix minutes d’arrêtI.

II T.G.V Paris- Hendaye.

Ah ! sa mère, coquette, inconsciente, c’est elle qui aurait du convoyer la mémé. Pauvre vieille qui se fait toute petite avec ses mains qui tremblent sur ses genoux, qui lève constamment des yeux inquiets vers sa valise : - Tu l’as bien calée au moins elle ne va pas tomber… Elle a du l’accompagner de nombreuses fois aux toilettes et pourtant elle s’est sans doute oubliée, une odeur acre a rejeté la jeune femme près de la fenêtre. On ne demande pas à une petite fille d’accompagner sa grand-mère, chérie de surcroit, dans une maison de retraite, un mouroir plutôt, un habitat en CDI, généralement de courte durée .Dès qu’un pensionnaire y meurt on fait appel au premier de la liste d’attente. Cela s’était passé ainsi pour mémé, mais sa mère, ah ! Sa mère lâche comme toujours, avait déclaré avoir trop de peine pour faire ce lointain voyage. La jeune femme a des larmes plein les yeux et s’efforce de donner à sa voix un ton joyeux : - Tu seras bien, mémé, la maison n’est pas loin de la mer, tu auras des médecins sur place pour te soigner, tu te feras des amies, tu ne seras jamais seule, il y a des animations… -Ne t’inquiète pas ma chérie, si tu peux me téléphoner de temps en temps ce sera très bien. Sa mémé elle ne la reverra sans doute jamais, tous leurs moments de tendresse lui reviennent en mémoire, trésor d’enfance et de jeunesse à jamais perdu, une grosse boule monte dans sa gorge …

Dax, dix minutes d’arrêt.

 Elle a baissé la vitre et secoue sa longue chevelure dorée en étirant es bra.. De l’autre côté Dax :- di du quai, en face, Il passe le haut de son corps à l’estérieur pour humer la fraicheur de l’air. Leurs regards se rencontrent dans un éblouissement immédiat. Ces yeux clairs si tendres il les attendait depuis si longtemps, elle trouve enfin ce visage mâle aux traits fermes auquel elle rêvait. Maintenant ils savent que leur intense liaison ne durera qu’un instant. Il tente télépathiquement de lui raconter sa vie et tout le bonheur qu’il attend d’elle ... Elle lui transmet sa tendresse et sa confiance en lui. Elle sourit, oui, d’un large sourire heureux, il y répond, timidement d’abord puis avec enthousiasme. Ils se sont trouvés ; ils se sont compris .Moment de pur bonheur. Des annonces en cris, des bruits sombres.

 Les convois s’ébranlent en sens inverse déchirant à jamais leur avenir. .

4 commentaires:

  1. Un croissement de vies sur les voies...
    Tristesse, amertume, tendresse et désarroi. Peut-être que la vie n'est rien d'autre que cela : un temps d'arrêt, et un instant présent qui nous méne vers des avenirs pleins d'incertitudes.
    Des vies croisées, des morceaux de temps réunis dans l'espace des corps.

    Bises, ma gitane.
    Un très beau récit.

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  2. Les âges, les points terrifiques que tu racontes avec une justesse qui fait du bien quand tu connais cet angle là de l’éducation et de l’amour qui passe en indifférence.
    Les situations de vie qui petent de tout côté.

    Le train de la maison de retraite CDI
    Pas mal trouvez , les arguments universels.
    Et le troisième aussi troublant de justesse . la viguer de l’instant prévu la fonte comme une bonne glace ou aujourd’hui la banquise.
    Merci de ces petites tables de buis où fond le cœur humain si exposé .
    Merci manouche.
    Je t’ai cité dans mon dernier texte.
    Bonne fin de dimanche

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  3. Bonjour manouche... Je suis désolé de ne plus commenter les Blogs, mais l'heure n'est pas au caoutchouc. La vie est un va-et-vient et c'est ainsi qu'elle se reflète.
    Una abraçada.

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  4. Instants de vie qui défile comme le train......Nous sommes tous dans un train dont nous ignorons la destination ( enfin, si...Elle est la même pour tous !)

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