mercredi 19 février 2014

Conversation -12- avec Cora .



- Ma chère amie, vous m’avez intriguée à propos de Bécassine, ce soldat que vous aviez bizarrement qualifié.
- Je vais le replacer dans le contexte. Au fil du temps la radio des « Français parlent aux français » diffusait des messages devenus guerriers. Codés, ils annonçaient aux initiés un parachutage d’armes, un pont ou une voie de chemin de fer à faire sauter, un convoi allemand à prendre au piège. Les maquisards bien armés étaient maintenant redoutables et multipliaient les actes terroristes. Les communiqués militaires qui se voulaient optimismes  ne pouvaient plus cacher les difficultés extérieures que le Reich connaissait. Les armées d’Hitler était mise à mal en Russie, ce qui,  en les encourageant redoublait l’efficacité les armées de l’ombre à  l’intérieur.
-   Ça sentait le roussi pour les occupants !
-  Bécassine n’était pas la gloire du grand Reich ! Il était arrivé avec les derniers  contingents que l’armée nous avait envoyés en grattant les fonds de tiroir… Après le couvre feu des patrouilles de deux soldats passaient dans  les rues, entraient dans les maisons pour vérifier si les consignes de black-out étaient correctement appliquées. Un soir deux paires de bottes montent lourdement l’escalier et un couple de troufions entre dans la cuisine où je me trouvais avec ma mère. Quel duo ! Un grand, gros et vieux soldat, l’autre un gamin à peine plus âgé que moi flottant dans un uniforme trop grand. Il fixe un regard intense sur ma mère. Le voila qui extirpe un portefeuille des plis de sa vareuse informe, en sort une photo et nous la met sous le nez. C’est vraiment extraordinaire. On voit sur le cliché le soldat tout fier de son uniforme à côté d’une dame qui... ressemble trait pour trait à ma mère. Il baragouine avec son collègue lui demandant visiblement de partir. Le gros contrarié par cet accroc à la discipline,  sort pour continuer seul sa ronde en grondant des reproches, poing  menaçant tendu vers le gamin :- « Bégazine, Bégazine »… L’autre nous sourit, expliquant –« Kamarades appeler moi Bégazine » enlève son casque, le pose sur la table, met son ceinturon à coupe-choux à l’intérieur et s’installe sur une chaise.



 Nous, muettes, sans broncher. Pas de mérite, malgré son escopette ce gamin aux doux yeux bleus n’était guère effrayant... Personne ne parle, maman et moi faisant, comme on nous l’avait appris, si  de rien n’était, maman à ses ravaudages, moi à mes devoirs. Le Bécassine restait là sans un mouvement, visiblement heureux de contempler ma mère sans dire un mot. Une heure, deux peut être. Le lendemain même manège : le collègue renvoyé, le casque sur la table avec le ceinturon, l’adoration immobile. Évidement nous avions mis au courant mon père, qui passait les soirées avec les hommes. Il ne pouvait aller sur le terrain mais était devenu champion en faux papiers et pourvoyait en cartes d’identité, prisonniers évadés ou autres fugitifs acquis à la cause. –« Surtout ne renvoyez pas cet imbécile, il va nous  être précieux pour éviter les perquisitions, il faut que nous soyons plus que jamais tranquilles au grenier».
Avec précautions, il savait que c’était mon cousin préféré, mon père nous apprend l’accident arrivé à Denis. J’étais en admiration amoureuse devant ce cousin, brillant étudiant, cavalier émérite et qui jouait divinement du piano. Engagé dans la Résistance, il était chargé de surveiller dans une cabane au fond des bois, le dépôt d’armes où s’entassait le produit des parachutages. Des jeunes gens étaient occupés à les trier quand Denis aperçoit sur le tas une grenade dégoupillée. Il s’en saisit en hurlant à ses camarades de se mettre à l’abri et la lance par l’ouverture de la cabane. Elle explose  au même instant. Denis git au sol touché par les éclats, un œil crevé, les mains en charpie, il manque trois doigts à sa main droite, deux à sa main gauche, un gros éclat est fiché dans son portefeuille au niveau du cœur …Un médecin du groupe lui prodigue les premiers soins mais il n’était pas question qu’il reste au maquis dans cet état.
- D'où le soulagement de votre père. La présence de Bécassine était le  garant de votre tranquillité.
- Exactement. On avait  pu installer Denis au grenier, visité le soir par un médecin ami pendant que Bécassine, toujours collé dans la cuisine devenait un peu plus audacieux.
- C’est-à-dire ?
- Eh bien, toujours muet et  souriant il aidait par exemple ma mère à porter la lessiveuse sur la cuisinière,  sortait de sa poche un bout de chocolat farineux pour moi… Il faisait semblant de ne pas voir le tissus que nous cousions avec plaisir depuis quelque temps,  si beau si léger et… si visiblement de la soie de parachute. Ce manège a duré assez longtemps pour que nous n’ayons plus à craindre l’intrusion de patrouilles. Nous étions devenus sa vocation militaire. Nous étions protégés par cet innocent. Bientôt nous le considérions comme un inoffensif meuble familier.
Et puis un soir pas de Bécassine, le lendemain, le surlendemain non plus. Des semaines passent.
Un jour, dans la rue je vois le vieux co-équipier de Bécassine patrouillant avec un autre vert-de-gris. Je m’approche de lui et du ton le plus interrogatif possible je demande :-« Bécassine ? »-«  Pékazine, pon kamarade, très mauvais soldat, Pékazine, envoyé Russie, tué Stalingrad ». Immédiatement il me vient à l'idée que ce vieux salopard a dû dénoncer son petit kamarade.  Je reviens en courant à la maison apportant la nouvelle. Mon père, calmement :-«  Normal c’était un soldat et un soldat ennemi » pendant que ma mère essuyait une larme –« pauvre petit »…
- Cette bataille de Stalingrad a été décisive ?
- Absolument, c’était pour les schleus le début  de la fin. A l’école les garçons quand ils se battaient ne disaient plus –« tu vas voir ce direct ! » mais –« je vais te coller un Stalingrad !».
Puis il y a eu le débarquement, la jonction de toutes les forces d’opposition, la débandade des « doryphores ».
- Vous avez du être très heureuse à la Libération ?
- Si tu veux, petite, je te raconterai comment je l’ai vécue. Laisse-moi souffler, tu m’as fait tellement bavarder, moi qui n’ai plus beaucoup d’occasions de m’exprimer…
 Tu ne sais pas ? On va faire des crêpes, surtout n’oublie pas le rhum !

10 commentaires:

  1. coucou,
    c'est toujours un régal
    de te lire
    merci pour ce partage
    bizzz

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  2. En effet........!
    Heu....je peux avoir une crepe ? Ca fait bien longtemps que je n'en ai pas mange......

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  3. Combien d'histoires semblables se sont déroulées pendant la guerre ? Combien de ces "amitiés" tacites, de ces regards entendus qui en disaient plus long sur la vraie humanité que le plus petit mot...
    Très beau récit, Manouche!

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  4. Las actuales guuerras no se hacen con las armas,se hacen con las economia,las personas no mueren por las armas,mueren de hambtre.
    El egoimo humano sigue igual

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  5. ... ni la fleur d'oranger ! et nos amis des toustem youens diraient:
    allez, encore une bonne rasade de rhum !

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  6. Los objetos de mi fotografia,fueron muy comunes en Andalucia hasta hace algunos años

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  7. Toujours aussi captivants et haletants tes récits. Continue. Merci

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  8. Todos somos victimas en un momento de nuestras vidas
    Abrazos

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  9. Cela m'évoque irrésistiblement le très beau film que j'ai vu hier : La voleuse de livres

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