mercredi 29 mai 2019

Visite à tante Adèle.



                                                                         I
Comme tous les ans c’est la corvée du dimanche de Rameaux, l’inévitable visite à tante Adèle.
Les enfants ont rechigné pour m’accompagner et  je les comprends très bien. Conduire m’ennuie ,je pense que j’aurais pu employer ce dimanche à marcher dans la campagne. Dans la voiture, derrière moi, Lucie froisse les feuilles du bouquet de laurier sensé protéger tante Adèle. Je n’ai pas eu le temps de le faire bénir, peu importe pourvu qu’elle y croie. Jules pleurniche  dans son doudou, à six ans cela devient ridicule cet attachement à un bout de foulard, sucé, effiloché et qui pue. Tante Adèle habite seule une espèce de vieille baraque couverte d’une vigne-vierge anémique  qui, en plus, assombrit les pièces au fouillis innommable. Pauvre femme, comme elle a vieilli depuis l’an dernier ! Les enfants refusent de l’embrasser, impressionnées par les poils rêches qui ornent son menton. Ses joues toutes plissées tremblotent quand elle mange sa part de tarte aux fraises. Cette tarte que je partage au bord de la nausée est sans doute le reste d’un cadeau de la semaine dernière que lui aura fait quelque voisine, tant elle est aigre, la tarte bien sûr mais je ne pense pas me tromper en pensant que la voisine l’est aussi.
Dans l’air raréfié flotte une odeur de soupe au chou matinée de relents dont je comprends la source en buttant contre un chat obèse tout pelé dont le  ronron rappelle une crécelle désaccordée.
Les enfants se sont enfuis dans le jardinet broussailleux ou agonisent quelques rosiers sauvages. Assise dans un fauteuil bancal je dois faire semblant d’écouter le radotage de la vieille. J’avais espéré en vain qu’elle ne sortirait pas la boîte en fer  de galettes bretonnes qui contient ses photos. Elle ne m’épargne  rien surtout pas le cliché où j’apparais, adolescente à gros genoux la tenant par le bras d’un air stupide. Le temps se traîne, ma montre reluquée sans arrêt m’indique que je dois être encore patiente. Adèle, petite silhouette tordue me demande de la suivre dans sa chambre. Je retrouve sur le hideux papier fleuri toute cette galerie de portraits d’ancêtres dont certains soldats, armés jusqu’aux dents aux gueules impossibles. Sur la commode en bois fatigué qui a bien trois cents ans, elle prend une  bourse en velours râpé, en tire une broche, un camée démodé, la pose dans ma main avec un large sourire de sa bouche édentée. Je fourre cette horreur dans ma poche et sans remercier j’appelle les enfants ravis de reprendre la route.
                                                                             II
Comme tous les ans, le dimanche de Rameaux je cède à la sympathique coutume de rendre visite à tante Adèle.
Les enfants sont ravis de m’accompagner,  je les comprends très bien. La route est agréable  et je ne regrette pas  mon footing dominical habituel. Dans la voiture, derrière moi, Lucie tient précautionneusement le bouquet de laurier qui protégera tante Adèle. Je suis allée le faire bénir spécialement, respectant la foi profonde qui anime ma chère parente. Jules rit en suçotant son doudou, c’est trop mignon comme à six ans il est encore attaché à ce foulard de soie qui a beaucoup vécu et garde encore un peu de mon parfum.
Tante Adèle habite seule un ravissant cottage recouvert à l’anglaise d’une antique vigne-vierge qui projette une ombre agréable dans les pièces joliment meublées. Quelle femme étonnante, elle n’a absolument pas changé depuis l’an dernier !  Les enfants lui sautent au cou, embrassant sa peau encore veloutée. Son visage toujours ferme sourit pendant qu’elle mange sa part de tarte aux fraises. Cette tarte que je partage avec délice lui a sans doute été offerte par une de ses voisines, elle est vraiment bonne, la tarte bien sûr mais sans nul doute, la voisine aussi.
L’atmosphère est parfumée par l’odeur reconnaissable de la lavande que ma tante diffuse même dans le pelage soyeux de son beau matou angora qui  ronronne harmonieusement sous mes caresses.
Les  enfants sont allés courir dans le jardinet plein de charme où,  dans un désordre artistique, les rosiers reverdissent. Confortablement installée dans un fauteuil j’écoute avec plaisir le babil charmant de ma tante. Je suis heureuse qu’elle ressorte la boîte ancienne qui contient ses photos. Je les regarde toutes avec jubilation en particulier celle où, gracieuse adolescente, je la tiens par le bras avec un sourire ravi. Le temps passe trop vite ma montre, que je voudrais oublier, me rappelle que je vais devoir m’arracher à ce plaisir. Adèle, qui se tient encore bien droite,  me demande de la suivre dans sa chambre. Je retrouve sur la joyeuse tapisserie fleurie  cette touchante galerie de portraits d’ancêtres  dont de vaillants militaires aux visages virils. Sur la superbe commode en acajou d’époque Empire elle prend  une bourse en velours brodé, en tire une broche, un camée d’une grande valeur, la pose dans ma main avec, en cadeau supplémentaire, un regard lumineux. Ravie, j’accroche immédiatement  le bijousur le revers de ma veste en la remerciant, les larmes aux yeux.
 J’appelle à regret les enfants, désolés comme moi, de partir si vite.


1 commentaire:

  1. Bien que le dimanche des Rameaux, il y a plusieurs jours, de nombreux souvenirs de tia Adèle.
    Una abraçada manouche..

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