lundi 16 décembre 2019

La danse.

C’était au cours d’un voyage sur l’Amazone, finalisant une mission au Brésil. Partis de Manaus nous allions sur ce fleuve impressionnant  cabotant de village en village. Identiques, modestes regroupements de cases au bord de l’eau avec  leurs troupes  bruyantes d’enfants nus et dorés proposant qui un singe agressif qui un perroquet dédaigneux. Après quelques jours dans ce climat tropical humide la fatigue commençait à se faire sentir surtout que les nuits sur le bateau à l'ancre n’étaient guère reposantes. Somptueuses certes, avec des ciels étoilés soudains envahis de titanesques nuées orageuses d’un noir violet, l’énorme mouvement des masses d’eau sombre sous la coque et, venant de la terre, le jacassement des milliers d’animaux  de la forêt, mais… Mais nous dormions sur le pont dans des hamacs, alignés comme de monstrueuses larves. Avec, en guise de couverture, une grande  feuille de plastique qui s’alourdissait au fur et à mesure des réguliers abats de pluie. Le vent soufflant en rafales il était courant que le hamac d’un des passagers se décroche, on entendait alors un grand boum éclaboussé et le cri du malheureux qui s’affalait sur le pont au milieu des rires des autres larves plus chanceuses.
 Nous étions sur le chemin du retour et devions achever le périple dans un village plus important où nous attendait le « banquet «  final. Des tables étaient dressées dans un vaste hangar de tôle,  tassés au fond des musiciens accroupis avec des instruments indéfinissables... On voyait dans la cuisine attenante s’affairer des femmes en chemise longue de coton brut. Des touristes venus d’ailleurs s’installaient avec nous. On nous servit du poisson évidemment, avec en cadeau ses monstrueuses écailles rugueuses si solides que les indigènes s’en servent de limes. A la fin du repas entrait un groupe de jeunes gens des deux sexes affublées de vêtements exotiques trop neufs. Ils  se mettaient à danser avec les musiciens subitement réveillés. Rythme joyeux mais visages frais inexpressifs de ceux appelés par les anciens à perpétrer sans enthousiasme ces coutumes qui attirent le chaland et qui n’y voient que le côté commercial. Autour de moi l’assistance un peu blasée photographiait, distribuait quelques sous… J’étais un peu attristée ...puis par l’ouverture sur la cuisine j’ai vu les femmes abandonner leurs bassines à vaisselle et se mettre en mouvement ! Je suis allée les rejoindre spontanément, elles m’ont attirée dans leur ronde. Je n’oublierai jamais comment je m’y suis immédiatement intégrée, les regards brillant de  la joie de l'accueil manifesté par ces femmes âgées en majorité  et qui jouissaient pleinement de ce moment de plaisir partagé. Elles me souriaient, me donnaient amicalement la main et nous étions là dans cette musique viscérale dansant dans le même rythme, simplement en tant que  femmes . Malgré toutes nos différences, unies dans le mouvement de nos corps  porteurs des traces d’un même vécu d’épouses, de mères assorti des mêmes joies et des mêmes peines…
En nage, échevelées, rieuses nous sautions en parfaite harmonie.
Quand la musique s’est tue nous nous sommes spontanément embrassées.
Il y avait des larmes aussi.


3 commentaires:

  1. Un instant magique de partage intense !! Un souvenir qui restera sans doute gravé dans la mémoire !

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  2. La danse et la musique exponentielle nous infectent de la joie de vivre, aussi simple soit-elle.
    Una abraçada manouche..

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  3. En lisant ton billet, tu m'as rappelé le bouquin de Clarissa Pikola Estès: "Femmes qui courent avec les loups".

    Un seul instant qui unit "la femme" dans l'univers, d'où qu'elle vienne, spirale cosmique : centre, air, feu, planète et terre: Mèr(e)

    Bizz, ma gitane.
    Magnifique entrée.
    Chapeau, Mme!!

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