lundi 19 novembre 2012

Double flash.


      




La place Aligot Mari au printemps est vraiment magnifique. Des immeubles immaculés, des cafés élégants aux terrasses ensoleillées, jouxtent des boutiques de luxe. Des terrasses s’échappent un joyeux brouhaha.  Il est onze heures et demie, c’est l’heure de l’apéritif au Royal Ségolèn. Sur les sièges en rotin, le visage tourné vers le soleil profitant de cette belle matinée de mai pour bronzer un peu, un verre de Picard opalescent en main les clients lézardent en souriant…
Au centre de la place, une Vénus immaculée aux formes parfaites se mire avec grâce dans la fontaine de marbre blanc, le gravier blond qui l’entoure  crisse dans la course des enfants qui se poursuivent autour du bassin.
Les bancs de bois verni disposés en cercle sont occupés par des mamans attentives. Des personnes âgées, le front sur les mains, les mains sur la canne chauffent leurs rhumatismes  ….
Quelques bancs vides pour un espace de "protection"…puis, face au Royal Ségolèn vautrés, lampant à même le goulot quelques clodos narguent les nantis de la terrasse.
Hubert, qui se fait appeler Hube s’avance d’un pas étudié conscient que son élégante silhouette longiligne est admirée au passage. Il a vingt-huit ans, beau gosse, belle gueule et sourire craquant. Il porte une tenue  sportwear  et laisse dans son sillage le parfum  d’un coûteux Hugo Bossu. On le prendrait pour un cadre fortuné, en fait il est vendeur au rayon papeterie d’une grande surface.
A trois pas derrière lui une jeune femme blonde et pâle suit modestement. Sont-ils ensemble ? Sans doute puisqu’ils prennent place à la même table.
Hubert s’empare d’un fauteuil, s’assied en pinçant le pli de son pantalon, satisfait du brillant de ses chaussures (qui lui ont coûté un mois de salaire chez Lenoir) il étend les jambes devant lui le regard fixé sur l’animation de la place. Céline prend une chaise et se pose face à Hubert.
C’est le moment, se dit-il,courage !
-Céline j’ai quelque chose de désagréable à te dire... ne baisse pas la tête quand je te parle! Hube monologue...
Sur la place un grand jeune homme athlétique discute avec les clochards, il a l’air familier avec eux, peut-être a-t-il connu lui aussi des problèmes ? En tout cas il les a surmontés, il n’est plus de leur race, ses cheveux noirs bouclés brillent au soleil et la main qu’il tend est soignée. Sans doute quelque argent a dû changer de propriétaire si on en croit les bruyants: "Merci amigo" qui le saluent.
C'est Manuel, habitué de cette promenade dominicale, il traverse la place et s’installe à la droite de Céline, un peu en retrait.
Céline ne voit rien, le nez dans son verre, pendant qu’Hubert, continue son discours en repoussant de temps en temps une mèche blonde sur son front.
-...Mon C.D.D chez Lenoir devait être transformé, en C.D.I. eh bien il n’en est rien, même mon chef de rayon est menacé ; faute de résultats il va être muté en Normandie.Tu te rends compte ? Il y a plus …Céline tu m’écoutes ?
(Bon sang j’en ai marre de cette nana, elle semble ne rien comprendre!) 
Enfin, Céline, tu t’es bien rendu compte que je ne t’aimais plus ?
Réponds moi, ne me force pas à crier, tu devrais avoir honte, les gens nous regardent.Hubert savait que cette rupture ne serait pas facile, évidemment cette sotte ne pouvait que s’attacher à lui, mais que dire face à une muette ?
- Céline, oui, je t’avais promis le mariage mais tu es intelligente tu vois bien que ce n’est plus possible et qu’il faut nous séparer.
Il est lassé de ne voir devant lui que le front buté de Céline, son regard dérive et rencontre celui noir, brillant de Manuel. Quel choc !
Hubert n’a jamais été très intéressé par les femmes et cette gourde de Céline est bien la dernière qui aurait pu le faire changer d’avis. Qu’est- ce qu’une femme à côté d’un homme comme celui-là ? Ce visage bronzé, buriné de routard le trouble profondément ; il est envahi d’un désir tel qu’il n’en avait plus connu depuis longtemps… Merveille ! Cela semble réciproque, ces yeux superbes le trouvent intéressant, mieux Hubert  y lit une réelle admiration … Incroyable ! Alors qu’il rompt avec Céline il fait une rencontre qui va sûrement bouleverser sa vie !
Hubert tu as gagné le gros lot !
C’est en s’adressant indirectement à Manuel qu’il articule avec force :
- Céline comprends; tout est fini entre nous, et, magnanime : je t’en prie ne pleures pas; tu me ferais de la peine.
Céline lève brusquement la tête, ses grands yeux clairs mangent son joli visage menu. Elle réalise immédiatement le grotesque de la situation, cette rupture elle envisageait d' en prendre l'initiative mais gentiment et sûrement pas  à la terrasse d'un café. Le visage d’Hubert, où se lit le soulagement d'en avoir fini avec une corvée, la remplit d’une colère monstrueuse. Elle se dresse violemment, empoigne la bouteille de soda et se jette contre Hubert:
- Pauvre type, tu t'es toujours conduit en parfait salaud, tu n'es qu'un minable!
Elle est vraiment menaçante, Hubert en est paralysé .
Manuel a saisi le poignet de Céline en plein vol et reposé doucement la bouteille. Céline le regarde longuement. Hubert est éperdu de reconnaissance.
-Merci vous m’avez sauvé de cette folle !
Céline n’a jamais eu l’air plus sensé qu’en ce moment où les tensions s’apaisent.Les clients du bar, un peu frustrés, de voir le spectacle se terminer si rapidement se replongent dans leurs papotages.
Les traits délicats de Céline se détendent, elle dédie à Manuel un ravissant sourire perlé…
Hubert la trouve à la fois touchante et ridicule, tellement à côté de la plaque.
- Allons Céline conduisons-nous en personnes raisonnables: je vais me recoiffer et à mon retour j’aimerais que tu sois partie. L’oeillade sans équivoque qu’il dédie à Manuel sous-entend : attends moi je reviens tout de suite...
Léger, heureux, il se dirige vers les toilettes, la glace lui renvoie un reflet flatteur, c’est vrai qu’il est séduisant, qui pourrait lui résister !

Dans l’aveuglante lumière de la terrasse deux tables sont vides.
Hubert désemparé se tourne de tous les côtés.
Près de la fontaine, bras dessus bras dessous, Manuel et Céline s’éloignent d’un pas harmonieusement accordé …

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9 commentaires:

  1. Bravo!
    Quel con cet Hubert... digne patron des "saints chasseurs"

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  2. Quelle tête à claques cet Hube-là! N'a eu que ce qu'il mérite. C'est ce qui s'appelle une happy end... Très jouissif, en somme.

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  3. j'aurais bien aimé être Céline....et qu'un Manuel passe....

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    1. Tu ne préfères pas un Intellectuel ?
      Henri

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  4. Tout lasse,
    tout passe,
    tout casse.
    aH! l'amour.....................
    quel drôle de mot alambiqué
    et dire que des "pas trés inspirés"
    le font rimer avec toujours!
    Bonne NOUVELLE ( dans tous les sens même interdits)
    la forme revient?
    bellemiche

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  5. Pauvre et égoïste Hubert......J'aimerais connaître la suite de l'histoire. Comment se comportera Manuel avec Céline?

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    1. A toi de l'écrire, Céline aura t-elle plus de chance? mais il y a des femmes qui vivent toujours la même histoire...

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  6. Oh les filles ?????

    Vous vous défoulez ou quoi ?
    Les mecs "biens" existent, tout comme il existent des "salopes" de première ! ... alors, la morale de cette histoire ???
    Peut-être simplement qu'il ne faut pas faire semblant (comme Hube et Céline) et, admettre ce que l'on est et ce que l'on ressent.

    Manouche, fais-moi un sourire !
    Bisous

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  7. Les mecs bien, en 38 ans de carrière comme célibataire, je n'en ai pas vu la queue d'un, mon pauvre petit Olivier zoulou...

    Mais j'ai arrêté de désespérer : j'ai acheté un godemiché, et depuis je nage dans le bonheur.

    Sinon Manouche, le choix du prénom Hubert m'a fait sourire. Beaucoup. Allez savoir pourquoi... :)

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