vendredi 27 décembre 2013
Conversation -7- avec Cora.
-Ah ! Quel bel homme cet Édouard.
Droit comme un « I », mince mais large d’épaules, sa haute silhouette couronnée d’abondants cheveux frisés. On l’admirait quand il passait, la démarche souple, son voisin jaloux disait : « monté sur des fourches télescopiques ». Sa femme, elle, roucoulait:"on dirait un pâtre grec"! Le regard vif dans un visage aux traits harmonieux. S’il faut le caractériser d’un mot ce serait : Fier. Fier d’avoir était reçu premier du canton au certificat d’étude et d’avoir continué à s’instruire avec cette superbe base, qui, à l’époque, était une somme de savoirs et de méthodes. Fier de sa scrupuleuse honnêteté. Fier de son métier « Peintre en lettre et filets »,
l’élite de la profession ! Cette spécificité lui permettait de donner libre cours à son sens esthétique en décorant calèches et boutiques. Fier de sa famille qu'il aimait profondément. De religion fataliste il pensait que nous n'étions que des marionnettes auxquelles le Destin ne laissait qu'un petit espace de liberté. Sans doute avait-il été marqué par le décès de ses parents morts ensemble par un arbre abattu un soir d'orage.
- Il avait des frères et sœurs ?
- Certains avec une vie peu ordinaire comme ses deux sœurs religieuses en Chine et son frère ainé émigré en Argentine et fondateur du lycée français de Mar del Plata.
Mais, en particulier, les soirs où le vin blanc avait coulé à flots il évoquait son plus jeune frère. A l’époque de leur jeunesse il n’y avait pas de recrutement automatique. Le sergent recruteur ne prenait qu’un garçon dans la fratrie et le choix se faisait au hasard. C’était son frère préféré qui avait « tiré la courte paille ». Dans quel conflit était-il parti se battre contre de lointains « sauvages » ? L’administration militaire l’avait déclaré mort au combat alors que ses camarades rescapés, présents lors de la bataille, avaient rapporté qu‘il avait... « Été mangé par les canaques ».
- Excusez-moi si cela me fait rire!
- Je te comprends, et nous, les enfants, qui entendions cette histoire pour la centième fois faisions de même. Édouard nous grondait, la larme à l’œil : « c’était mon frère chéri mais le Sort avait décidé ».
- Comment avait-il choisi son métier ?
- Épris de liberté et de voyages il s'était formé chez les Compagnons du Tour de France. Il avait non seulement fait le tour de France mais de l’Espagne et d’une partie de l’Italie, à pied, ce qui était à l’époque assez aventureux. Il avait connu à Paris la Mère des Compagnons dont parle Pagnol,
il en gardait lui-même un tendre souvenir.
De beaucoup d’autres aussi, sans doute, étant donné son charme ravageur…
- Comment vivaient ces hommes ?
- Les Compagnons, quelle que soit leur discipline laissait le chemin là où il y avait du travail, se fixaient une semaine, un mois et repartaient. Ils déménageaient de leur "pension de famille" souvent "à la cloche de bois".
- Quoi-t'est-ce ?
- Ça veut dire qu'ils partaient de nuit, sans payer, en douce...
C’est ainsi que dans notre petite ville, Édouard, s’était arrêté pour plusieurs mois, logeant dans l’hôtel tenu par mon arrière- grand-mère et où Génie, toute jeune fille, travaillait. Un jour mon arrière- grand-mère lassée par l’ardoise monumentale qu’Édouard, désinvolte, n’avait jamais eu la velléité de solder, l’interpelle :
- "Il faudrait, Monsieur, penser à régler votre dette accumulée tous ces mois. Génie raconte qu’Édouard aurait rétorqué, royal :
- Pas de dettes entre nous, ma chère, puisque je vais épouser votre fille."
- Quelle audace, et cela s’est fait ?
- Bien sûr, et je crois que Génie, la première surprise, est vite tombée amoureuse de ce beau Compagnon.
- Mais vous disiez que c’est elle seule qui faisait vivre la famille.
- Au contraire, pendant les jeunes années du ménage mon grand-père « ayant posé le baluchon » s’était mis à son compte. Très apprécié, il travaillait beaucoup ayant même des ouvriers et des apprentis. Je t’ai parlé de son hangar à peintures.
De multiples pots de poudres colorées s’alignaient sur des étagères. Édouard composait lui-même avec de l’huile de lin ses crèmes dont j’admirais le raffinement de teintes. Bien évidemment interdiction de toucher. Sous leur aspect innocent ces produits étaient d’une intense nocivité. A la longue la céruse attaquait les tendons des mains non protégées. Ainsi, j’ai toujours connu mon grand-père avec des mains racornies comme des serres inutiles. Portant beau, il cachait cette disgrâce en gardant ses mains, devenues oisives, au fond de ses poches. Il n’y avait aucune aide matérielle pour les accidentés du travail. Édouard dépendait de Génie, pour eux c’était naturel. Je ne les ai jamais entendus se plaindre.
Avec un fatalisme épicurien il essayait de distribuer de la joie autour de lui, racontant ses aventures « internationales », récitant des poèmes, faisant la lecture aux nombreux analphabètes du coin. Dans son quartier qu'il avait baptisé la Cour des Miracles il promenait son voisin infirme dans son fauteuil roulant (bois de palettes et roues de vélo). Édouard lisait sans cesse tout ce qui lui tombait sous la main et, petite fille j'étais émerveillée de constater qu'il savait en tirer le meilleur enseignement.
A la fin de sa vie professionnelle il avait encore gardé un apprenti et racontait que le gamin, pas très malin, avait écrit sur la façade du marchand de boissons: « VINS- LIQUEURS- SIRO. P.S ».- Mon grand père qui lui avait dessiné le modèle était ahuri du résultat et le gamin de s’expliquer : -« Ben, j’ai recopié le modèle, vous avez écrit « sirops » c’était bien pour que je peigne « Siro. P. S, pour Pur Sucre » non" ? Et mon Édouard de rire aux larmes, proposant au petit des cours du soir !
- Vous citiez tout à l'heure son addiction au vin blanc...
- Au bistrot il discutait politique en éclusant des barriques de vin blanc. Quand il rentrait alors, ivre, mais plus droit que jamais, sans avoir rien perdu de sa superbe, Génie pouvait sans le regarder savoir combien il avait bu au genre d'histoires qu’il racontait. A ces moments-là Génie nous demandait ne pas écouter :
"- Enfants dans la vie il faut toujours aller de l’avant, ne reculez jamais, claironnait –il. Ainsi, moi qui vous parle, il m’est arrivé souvent, quelque peu éméché ( !) de tomber dans une rivière, et même, oui, un fleuve, eh bien je ne me suis jamais retourné et j’ai toujours nagé jusqu’à l’autre rive." Génie haussait doucement les épaules en posant devant lui une assiette fumante. Je me souviens encore du regard reconnaissant et tendre d’Édouard, subitement dégrisé, cherchant à travers la buée, les yeux de sa Génie.
Pendant la guerre 1939-1945 Ils se fâchaient souvent. Édouard trop âgé lors des deux conflits mondiaux n’avait jamais combattu et Génie avait décidé qu’il ne comprenait rien à ce que pouvaient souffrir leurs deux fils engagés. Elle enrageait surtout lorsqu’elle n’avait pas de leurs nouvelles et qu’il pensait la consoler d’un :
- "Pas de nouvelles, bonnes nouvelles" !
- Ces fils à la guerre étaient ceux dont tu m’as parlé et qui voyageaient au long cours ?
- Par le hasard des affectations l’aîné était sur un navire de guerre, le plus jeune dans l’armée de terre. Dès le début des hostilités nos alliés anglais arraisonnaient les bâtiments coalisés pour qu’ils ne tombent pas aux mains des allemands. Le croiseur de mon oncle a été arraisonné en Afrique du Sud et consigné en rade du Cap. Mon oncle avec tout l'équipage a passé quatre années « retenu » dans un hôtel luxueux, profitant librement d’une vie de divertissement avec le seul chagrin d’être coupé de la famille.
Le plus jeune, fait prisonnier par les allemands a croupi, durant cette même période de quatre années, au fond d’une mine de sel en Silésie !
- C'était vraiment le jour et le nuit;
- Oui, ces terribles événements qui avaient éloignés deux frères physiquement les avaient moralement totalement changés. Le plus jeune, dramatiquement mûri, semblant après son éprouvante expérience être devenu l’aîné…
Je ressens encore la joie délirante de leur retour, Génie soulevée à bout de bras, ruisselante de larmes de joie, alors qu’Édouard radieux :
- "Tu vois, je te l’avais bien dit qu’il ne fallait pas se faire de souci !"
A la mort de Génie mon grand-père a vécu, chez mes parents, très agréable compagnon, heureux, jouissant de toutes ses facultés, n’ayant jamais vu un médecin.Il était toujours aussi drôle et je me souviens qu'au retour d'un mariage auquel nous étions tous conviés il s'est écrié en riant du haut de ses quatre-vingt-dix printemps bien sonnés :
-" Tout aurait été parfait si on ne m'avait pas donné comme cavalière une vieille dame... elle avait au moins cinquante ans"!
Joyeusement, il assurait toujours :
- "Une gitane me l’avait dit, à Madrid, en lisant dans les lignes de la main : « Vous serez centenaire »".
- Voilà pourquoi il était si décontracté!
- Sans doute, il avait vécu toute sa vie croyant dur comme fer à cette prédiction qui l’exonérait de toute crainte du futur. Peut-être le secret de sa longévité ?
Par la faute d’un stupide accident il devait disparaitre très peu de temps avant la date… prévue.
jeudi 26 décembre 2013
Cadeau de Noël .
Je vous invite à un voyage dans la station spatiale, gratuitement, comme si vous y étiez !
mercredi 25 décembre 2013
Noël cha-cha-cha avec Jean Constantin, visionnaire .
Un Pacha plein d´argent, Shah Persan si puissant
Que dans son, que dans son, que dans son, son harem
Toutes les femmes lui disaient Shah Shah Shah comme on t´aime!
Mais malgré ses mi-mi, ses mi-mi, ses milliards,
Le Pacha, Shah Shah Shah, avait bien le cafard,
Des pé-pé, des pé-pé, des pétroles il était saturé...
Car son rêve...
C´était d´voir pousser l´gazon...
Devant son pa-pa...
Son palais en toutes saisons...
Mais chaque fois qu´il creu-creu, qu´il creusait des trou-trous
Pour trou-trou, pour trou-trou-la-itou, pour trouver
Un fi-fi, un fi-fi filet d´eau, du pé-pé du pétrole
Jaillissait aussitôt. Et les sou, les sou-sou, les sourciers,
Les sorciers voulaient tous démi-mi, démi-mi, ssionner,
Et le pa, le pa-pa, le Pacha Shah Shah Shah languissait...
Car son rêve...
C´était d´voir pousser l´gazon...
Devant son pa-pa...
Son palais en toutes saisons...
On signala à deux pas une rivière d´eau claire,
Le Pacha y courut sur le champ, mais revint fort déçu,
N´ayant vu qu´une rivière de diamants...
D´un coup de dés il joua aux zan-zan, aux zan-zi, aux anglais
Ses pé-pé, ses mi-mi, son pa-pa, ses sou-sou
Qu´il pé-pé qu´il perdit sur le coup...
Car son rêve...
C´était d´voir pousser l´gazon...
Devant son pa-pa...
Son palais en toutes saisons...
Alors tout con, tout con-con, tout compte fait,
Il s´installa chez nous, car chez nous pour ce qui est
Du ga-ga du gazon on s´rait plutôt ga-ga trop gâté
Tait un Shah, tait un Shah, un Pacha, un Pacha Shah Shah Shah,
Shah Persan si puissant qui creu-creu, qui creusait des trou-trous,
Des trous-trous pour trouver un fi-fi, un fi-fi, un filet, filet d´eau,
Pour l´ga-ga, pour l´ga-ga, pour l´gazon, devans nos, devant nos, nos pa-pa,
Nos palais en toutes saisons .
mardi 24 décembre 2013
Heureux 25 /12/13 (25= 12+13 !)
Paroles de Mon Père (Fouettard) et ses verres.
Joyeux karaoké de Noël à tous mes amis les blogueurs blagueurs.
Mon père est marinierDans cette péniche
Ma mère dit la paix niche
Dans ce mari niais
Ma mère est habile
Mais ma bile est amère
Car mon père et ses verres
Ont les pieds fragiles
- Avez-vous jamais vu, hein ?
Monter cristaux
Et baccara sur un
Bateau
Quand père me dit : "Va Lise
Sors le cristal
Qui est dans la valise
J'ai mal
Je sors un 'coup' du servic'
Pour sa liqueur
Ça nous pousse a quelle heure ?
Vers six
A c'moment la mère monte
Leur cass' les pieds
J'ai pu sans fausse honte
L'épier
Pour ce qui est de l'hygiène
Là nous l'avons
faut bien sur un bateau
L'avoir
Quand il y a de la julienne
Nous l'avalons
Pire essuie ses lattes au
Bavoir
Et puis comme il va boire
Sans son bavoir
Pour l'empêcher mèr' perd
Ses verres
Et quand père remet ça
Sur le tapis
Son cur pleure mais sa
Bouch'rit
Rugissant par la glotte
"hr-hr" fait l'un
Il a tout du félin
Fait l'autr'
Ma mère à son tour gronde
Fait des "hon-hon"
Ces sons aussi sont de
Lion
Alors mon père traite
De sale amie
Celle qui fut sa mie
Rosette
Que voulez-vous de plus qu'on
Vous serve là
Tout fut dit au bout d'un
Ah ! Ah !
vendredi 20 décembre 2013
Conversation avec Cora -6-
- Ah ! Oui, je te parlais de ce ministre en cette époque
d’après la guerre de 14-18. On avait dit : plus jamais ça, la paix pour
toujours, et les années de 1920 à 1939 étaient joyeuses et insouciantes. Ce bon
ministre ventru et moustachu avait épousé, alors apprenti politicien ambitieux,
une jeune héritière aussi sotte que laide mais pourvue d’une immense fortune.
Dès les épousailles il s’était montré indifférent, les années aidant tout à
fait détaché, à tel point qu’il n’amenait pas son épouse à Paris. Il y vivait
sa vie de politique et d’homme. Une situation comme chez Maupassant. Il ne
revenait dans leur superbe demeure qu’avec des amis pour des chasses sur « ses »
terres et les opulents banquets qui suivaient. C’est là qu’Eugénie entre en scène. "Monsieur" ne lui avait rien
caché de la situation, d’une part la neurasthénie de Madame, qui avec l’âge
tournait au gâtisme. Elle nécessitait des soins infirmiers, on devait l’alimenter
son état nécessitait une présence constante. D’autre part il fallait aussi une personne de confiance pour tenir le
rôle d’hôtesse, cuisinière, maître d’hôtel lors des réceptions. Eugénie était
sensée remplir l’ensemble de ces tâches.
- C’était de l’esclavagisme !
- Génie ne le voyait pas ainsi, toute dévouée à ce couple
bizarre quelle plaignait surtout d’être sans enfants et considérait que tout
travail était une bénédiction. Le plus grand avantage qu’elle voyait à la
situation était que sa jeune fille, ma mère, contre quelques heures de lecture
pour la somnolence de Madame, profitait de la situation, enfin logée et nourrie
dans de bonnes conditions avec la possibilité de poursuivre confortablement ses
études.
Génie nous amusait beaucoup en nous racontant les soirées de
retour de chasse de ses messieurs. Le travail préalable était harassant pour la
préparation des gibiers de tout poil et de toute plume. Puis il fallait dresser
le couvert avant de s’occuper de Madame. D’abord la piqûre quotidienne puis
l’habillement :
- Je suis jolie,
Génie ? Vous croyez que mon mari sera content ?
- Madame est très belle… surtout quand elle est bien calme.
La pauvre femme paraissait à table le temps que son mari
l’excuse auprès des convives au prétexte de sa fatigue avant qu’elle n’ait
sorti quelque énormité. Parfois elle tapait du
pied :
- Je veux rester. Ou :
- Je veux bien me retirer mais avec Génie. Le service était
alors interrompu, ma grand-mère remarquant, avec peine, le peu de cas que ces
vaillants chasseurs, à commencer par son mari, faisaient de cette pauvre femme.
Plus tard son époux, ne la voyait pratiquement plus, il la
cachait complètement sans souci du
chagrin provoqué. Souvent elle refusait de se coucher :
- Génie je veux retrouver Monsieur à Paris. Il fallait alors
jouer toute une histoire. Lui raconter le chemin vers la gare, parler des
bagages dans le filet , lui passer une chemise de nuit appelée « pelisse
de voyage »… enfin la faire monter dans son lit en lui expliquant que le
marche- pied du wagon était un peu haut… Elle s’endormait dans son lit douillet louant le confort du chemin de fer.
Génie nous racontait la scène avec humour mais beaucoup de tendresse pour cette
femme innocente à la vie gâchée et qu’elle avait accompagnée jusqu’à sa fin
solitaire.
- Elle était vraiment compatissante.
- Mieux que cela. Je
voudrais te raconter un des derniers souvenirs que j’ai de ma grand-mère. C’était
beaucoup plus tard après la guerre de 1939-1940. Génie avait été élue d’office
présidente des Femmes Françaises de la ville. Elle avait accepté voyant là une
possibilité de solidarité, se moquant du fait qu’il s’agissait d’un mouvement
politique, communiste en l’occurrence.
En fait avec l’occupation allemande le conflit a duré jusqu’à la libération de 1944. J’étais à peine sortie de l’enfance et, pas plus que les adultes qui m’entouraient, je n’avais eu connaissance de l’abomination des camps de concentration. C’était une chaude journée d‘été, le garde- champêtre passait de maison en maison dans l’Avenue de la Gare :
En fait avec l’occupation allemande le conflit a duré jusqu’à la libération de 1944. J’étais à peine sortie de l’enfance et, pas plus que les adultes qui m’entouraient, je n’avais eu connaissance de l’abomination des camps de concentration. C’était une chaude journée d‘été, le garde- champêtre passait de maison en maison dans l’Avenue de la Gare :
- « On a
téléphoné à la mairie que des déportés ( ?) en provenance de Dachau ( ?), en Allemagne,
arrivaient cet après midi par le train. Ils sont tous de la région et seront
logés au Grand Séminaire avant de rentrer dans leurs foyers. Ils sont en
mauvais état. Il faut prévoir des boissons reconstituantes, mais on nous a bien
dit : rien de solide. »
Dans la cour, près du portail d’entrée grand ouvert, sous le
trépied de fer, Génie a fait un gros feu de bois me demandant de l’alimenter
sans cesse. Dans le lourd chaudron de cuivre elle a préparé un « tourin »
à la tomate enrichi de tous les légumes du jardin. Sur une petite table elle a
disposé la vieille passoire cabossée, tous les verres et les tasses de la
maison. Vers quinze heures nous avons entendu le train et son bruyant freinage.
Puis une longue attente. Nous n’en croyons pas nos yeux : du haut de la
rue descend une effroyable cohorte. Des hommes hagards, crane rasé
brillant cruellement sous le soleil,
squelettes flottants en pyjamas rayés,
avancent en titubant. Soutenus, qui par des béquilles, qui par des infirmiers.
Beaucoup sont sur des civières. C’est atroce et tellement inexpliqué,
inexplicable ! Pas le temps de se poser des questions. Génie reprend vite
ses esprits. Nous filtrons le bouillon tiède dans les verres et les présentons à
ces malheureux qu’il faut faire boire à
petites gorgées. Certains ont du mal à déglutir d’autres esquissent un sourire
comme une cicatrice sur les os de leur visage. Ils passent. Tout l’après midi
les trains et leurs voyageurs fantomatiques se succèdent… Au soir, Génie en
larmes s’est effondrée près de son chaudron.
C’était pour elle la
fin d’un monde.
Elle est partie peu après d’une terrible maladie dont elle avait souffert en silence pendant des mois.
Elle est partie peu après d’une terrible maladie dont elle avait souffert en silence pendant des mois.
Pardonne-moi, mon amie si je pleure, il y a si longtemps,
mais je l’ai tant aimée.
Allons, si tu n’es pas découragée, je te parlerai du mari de
Génie, mon grand-père Édouard, et comme on dit maintenant : - Ce ne sera
pas triste !
jeudi 19 décembre 2013
"Science sans conscience"...
Il ne reste qu'à définir l'éthique, humaniste et laïque de préférence...
Liberté, Égalité, Fraternité ce n'est pas si mal, n'est-ce-pas ?
Conversation avec Cora -5-
- Bonjour Cora, nous en étions restées « à la cabane au
fond du jardin »…
- Tu confonds avec la chanson de Cabrel ! La notre
était dans un coin de la cour en cailloux blancs qui s’étendait devant la
maison. Au fait, je dois comprendre que certains détails te soient difficiles à
réaliser. Ainsi, si nous avions eu la possibilité de prendre des photos, tu aurais dit : Mais c’est une maison
actuelle. Façade coquette, belle porte vernie et celle plus modeste de la cuisine.
On allait de cette porte à la pompe en
passant sous la tonnelle de rosiers et de mimosas. L’intérieur était mieux que
propre, coquet, avec de vieux meubles luisants et des rideaux d’organdi empesés
et tu penserais : c’est comme maintenant ! Bon- mais imagine les
« accessoires » : ni électricité, ni eau, ni radio, ni téléphone.
Nous nous éclairions à la lampe à pétrole avec sa mèche fumeuse…Et le
chauffage ! La cuisinière dans la cuisine et la cheminée dans la salle.
Nous allions nous coucher chacun avec sa brique chaude. Parfois, comme les
riches, on bassinait le lit avec le « moine » en cuivre plein de
charbons ardents. La lessive se faisait à la cendre et les produits d’entretien
se résumaient à du savon noir, de l’alcool à brûler et du vinaigre blanc!
-C’était vraiment… dépouillé d’où la cabane je
suppose ?
- Quand tu ouvrais la porte en planches qui grinçait sur ses
gonds tu montais deux marches et te trouvais devant une estrade percée d’un
trou circulaire fermé d’un lourd
couvercle de bois. Sur les parois, pendant à des clous, la belle littérature
des années passées. L’épais almanach de la « Manufacture d’armes et
cycles de saint Étienne » très instructif avec de belles illustrations voisinait
avec « Le Chasseur Français », qui vantait des produits variés par exemple « le
filet de nuit pour garder en forme une belle moustache » ! Avant tout
nous nous régalions avec les pages de « l’Almanach Vermot » et
ses blagues quotidiennes auprès desquelles celles de tes carambars font figure
de poèmes charmants ! Nous n’avions pas beaucoup d’occasions de rire. Ce
qui était encore beaucoup moins drôle, c’était quand ,périodiquement, il fallait
aller vider l’énorme seau caché sous le trône. Pour mon élégant grand-père c’était évidemment
travail de femme. Nous attrapions, pliées en deux sous le poids, les larges
anses de la « comporte », et, Génie et moi, à petits pas, partions en
apnée le long de l’allée du jardin qui menait, loin, très loin, à la fosse à engrais.
- Je pense qu’après cela vous aviez envie d’une bonne
douche ?
- Il fallait d’abord pomper beaucoup d’eau. J’ai encore le
souvenir douloureux, l’hiver, de mes doigts gonflés d’engelures violacées collés
sur le levier glacé en fonte rugueuse. Je pesais de tout mon poids, léger, et
manquais défaillir quand cette garce se désamorçait en me faisant
décoller ! Puis il fallait allumer le feu et faire chauffer l’eau dans de grandes bassines, la transvaser dans un
arrosoir, la porter jusqu’au vaste hangar à peintures du grand père qui abritait le tub en zinc où nous faisions
« la grande toilette ».
- Ne me dites pas que vous étiez heureux quand même !
- Je crois que personne ne se posait la question ni pouvait
même imaginer qu’on parlerait un jour du « droit au bonheur ». On
était heureux quand il n’y avait pas de guerre, pas d’épidémie, que le fleuve
ne débordait pas, que la neige ne persistait pas, que les récoltes n’étaient
pas dévastées. On était heureux en creux mais il y avait pour chacun une somme
de joies simples. Les multiples bals et concerts en plein air, la lecture, la
vie en famille, toutes les occasions de réunions amicales au rythme des saisons
et des moissons. Très près de la nature nous profitions du printemps, des
marches dans les bois, des baignades
dans le fleuve…
-J’aimerais que vous finissiez de me parler de Génie.
-Elle était un peu à part dans sa génération n’hésitant pas
à porter les pantalons blancs à pont, surtout pour aller aux champignons, que
ses fils tous deux dans les « Messageries Maritimes » lui ramenaient
de leurs voyages au long cours. mes oncles
adoraient cette musique de sauvages, comme on disait à la campagne et je
les entends encore fredonner ce qui plus tard seront des tubes de jazz.
Embarqués dans la maîtrise de la compagnie ils avaient choisi les traversées vers la Chine et le Japon. Après de longues semaines en mer ils rapportaient des porcelaines translucides, des pièces de soie sauvage, des colliers de perles de culture. Le pantalon de marin, était pardonné à Génie qui arrosait tout le voisinage avec ces merveilles dont personne n’avait idée de leur grande valeur. Sur les genoux de mes oncles j’écoutais leurs merveilleux récits, les péripéties de ces voyages interminables, les exigences des richissimes passagers, les merveilles entrevues aux escales, les beautés du Japon, les pieds torturés des chinoises, les fumeries d’opium…Il y avait sur chacun de ces navires luxueux un orchestre « nègre »
Embarqués dans la maîtrise de la compagnie ils avaient choisi les traversées vers la Chine et le Japon. Après de longues semaines en mer ils rapportaient des porcelaines translucides, des pièces de soie sauvage, des colliers de perles de culture. Le pantalon de marin, était pardonné à Génie qui arrosait tout le voisinage avec ces merveilles dont personne n’avait idée de leur grande valeur. Sur les genoux de mes oncles j’écoutais leurs merveilleux récits, les péripéties de ces voyages interminables, les exigences des richissimes passagers, les merveilles entrevues aux escales, les beautés du Japon, les pieds torturés des chinoises, les fumeries d’opium…Il y avait sur chacun de ces navires luxueux un orchestre « nègre »
- Et que chantait-on autour de vous ?
- On s’exerçait sur les feuillets doubles, paroles, musique
et portrait de l’artiste après avoir
entendu les chanteurs des rues. C’étaient surtout de tristes complaintes. Je me
souviens d’avoir été incapable d’écouter jusqu’au bout « Les roses
blanches » que Génie chantait au
bord des larmes. Oh ! tiens, par contre j’en ris encore. Il y avait une
chanson très populaire qui parlait d’une jeune ouvrière engrossée par le patron
et le refrain bêlait : … « Et sa mère de trembler et vous
la comprendrez si vous avez aimé ». Nous, les enfants, pouffions à ce
début de phrase à la malencontreuse sonorité.
- Génie ne devait pas avoir souvent envie de chanter ?
- Pourquoi ? Elle était très gaie. D’ailleurs les gens
chantaient beaucoup et j’ai la nostalgie des rues égayées par les sifflets des
ouvriers du bâtiment, des colporteurs, repasseurs de couteaux, vitriers, gardes champêtre, facteurs…
Le cours de la vie de Génie a changé quand un ministre de la
République retiré sur ses terres, plutôt sur celles de la mirifique dot de sa
femme a eu l’idée « d’acheter » ses compétences. Infirmière et
cuisinière à temps plein chez l’opulent
politique et son épouse, ma grand-mère, déjà d’âge canonique, vivait chez eux
jour et nuit. Elle avait obtenu la
permission d’amener ma mère, la seule enfant encore auprès d’elle, lui offrant
ainsi d’autres possibilités de développement personnel.
Mais
ceci est une autre histoire.mercredi 18 décembre 2013
mardi 17 décembre 2013
lundi 16 décembre 2013
dimanche 15 décembre 2013
samedi 14 décembre 2013
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