lundi 26 mai 2014

Sonne le glas



Les croix reflétaient la lumière d’une lune à demi cachée par des nuages rapides.
Adèle pleurait dans le soir qui tombait mollement.
Sentinelles au garde à vous, de longs cyprès frémissaient contre les murs où se projetaient leurs ombres tremblantes.
Une foule d’amis, silencieuse, reniflait. Des nez coulaient dans le pincement de mouchoirs noirs. Près d’eux, Antoine, ami d’enfance d’Adèle, un peu en retrait, la regardait.
Un début de Mistral décoiffait les bouquets de plastique bruissant au pied des tombes.
Adèle essuyait ses yeux rougis, ses jambes se dérobaient, elle se sentait perdue, abandonnée. Elle détournait son regard vers les plis de sa mantille agités par le vent. Elle était veuve et belle de douleur.
A côté du caveau familial, fort de sa grille repeinte et de sa gothique pierre grise, ne s’apercevait pas les plus modestes sépultures, celles de terre sur Terre, ces monticules que franchissent parfois, en plein été, des groupes de fourmis, de cloportes affamés ou de mantes religieuses.
Adèle avait entendu Antoine, son ami d’enfance, faire l’éloge de son mari, Hugo, maintenant enfermé dans un coffre de chêne. Elle avait le regard égaré. Et les mots d’Antoine résonnaient encore sous son crâne: « …Elle avait su donner à Hugo tellement, tellement de bonheur … ».
Les marbres tourmentés des tombes monstrueuses qui l’entouraient, reluisant de tâches livides, la firent vaciller.
Antoine qui avait remarqué le malaise d’Adèle s’approchait d’elle et passait un bras protecteur sur son épaule, la serrant un instant contre lui.
L’église voisine avait pris des allures fantomatiques au gré des lueurs mouvantes animées par le défilé des nuages.
Adèle priait, elle priait pour l’âme d' Hugo qui s’élevait là-haut en croissant de lune, comme les bras qu’avait tendu le prêtre vers la voute du chœur … tandis qu’Antoine repoussait la pensée fugitive des croissants chauds qu’il n’avait pas pris au petit déjeuner.
Dans le lointain, les gémissements lancinants d’un chien perdu montaient dans le crépuscule comme un cyprès sonore, et retombaient dans le silence.
Les pleurs d’Adèle redoublaient, laissant sur ses joues une rosée prometteuse de printemps.
La lourde grille de fer du portail d’entrée s’était ouverte dans un long grincement.
La foule d’amis s’éloignait. Alors, Adèle tendit, à Antoine resté seul à ses côtés, son mouchoir de batiste brodé de ses initiales : A. et H.

6 commentaires:

  1. Tus elucubraciones vuelan mucho más alto que todas mis fantasias

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  2. je viens de le mettre sur papier et je reviens t'en converser
    gros bisous

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  3. j'ai pris le temps de le lire sur papier . je trouve toujours cette même joie de la précision , de ce détail qui nous donne tout le dessus l'en dedans
    et le sujet est terrible , le style nous le donne par le receuillement et la dignité de le dire hommage à ces êtres en deuil.
    merci manouche . tu es importante pour moi ta plume renforce ma quête en mon écriture. a tout bient^to

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  4. Tu écris merveilleusement bien. Un beau texte. On s'y croirait.

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  5. Bon, pour Louis, c'est fini; pour Antoine, ça peut se faire... mais A.H....quidonquesse?

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