Fait d'Hiver

La tête obstinément baissée sur l’assiette où restaient quelques croûtes de fromage Louis essuyait son couteau. Pas comme vous et moi. Avec un soin attendri, d’un côté de l’autre, du haut en bas, du bas en haut, puis il recommençait. Le couteau aussi était assez particulier. Un  long manche de corne et une lame acérée trop  large pour un couteau de table.

Assise en face de lui, Méline, les cheveux gras mouillés tombant en mèches irrégulières sur son  tablier à carreaux d’une propreté douteuse allait pour la énième fois criailler de sa voix éraillée :

- Arrête avec ce couteau, des mois que je supporte cette manie. Tu t’es pris de passion pour lui ou quoi ? Pose-le. Parle-moi. Tu sais, il y a des couples qui causent à table. Même si on n’a pas  grand’ chose à dire ça aide à vivre. Dis-le si j’ai fait quelque chose de mal ? Tu ne peux rien me reprocher. Rien. Par contre toi !! Si au moins tu cherchais du travail  mais môssieu  l’artiste est trop fier. Si tu arrêtais de boire. On dirait que  maintenant seule cette saleté de couteau t’intéresse. Laisse ce couteau ! Oublie la peinture, tu n’a plus d’inspiration.Tu ne  vends pas. Il faut savoir se résoudre, que veux-tu, tu n’as aucun talent …

- Bonjour, monsieur le juge, entrez c’est pas beau à voir. L’adjudant de gendarmerie indique la cuisine. Les cris de la femme ont alerté les voisins. On l’a trouvée dans une mare de sang.

 Assis dans un coin, calmement, l’homme essuyait son couteau.