Tais-toi malfaisante, lui
ordonnait Pierre hors de lui, tu vois ce que tu as fait !
- Moi, j’ai fait quelque chose, criait
la jeune fille, à part obéir à tout ce que tu voulais, d’ailleurs ce que tu peux
dire et faire m’est égal : tu n’es même pas mon père. Pierre et Adèle
abasourdis regardent leur fille puis Sacha qui semble observer la scène d’un
air, mais oui, amusé ! C’était terrible disait la cuisinière, monsieur
d’habitude si calme était comme un démon.
- Ah ! C’est comme cela et
bien tu vas m’obéir pour la dernière fois : tu vas quitter la maison.
- Cela tombe bien je commençais à être fatiguée
que maman joue à la poupée avec moi et que toi, papa, tu me maintiennes
docile dans cette petite vie provinciale et mesquine. J’ai d’autres
ambitions. Pierre ahuri bégaie :
- Et comment comptes-tu
vivre ?
- Voyons papa aurais-tu oublié
les donations que vous nous avez faites ? Tous vos biens pour nous deux à
notre majorité, il n’y a plus que quelques mois à attendre. Je quitterai la
maison dès demain. Les Deberre sont effondrés. Adèle se jette au cou de
Sacha :
- Heureusement que je t’ai mon
chéri. Pierre en larmes ne voit pas, au- dessus de l’épaule frémissante
d’Adèle, le regard tendrement complice qu’échangent les jumeaux.
Le lendemain Pierre, sorti
quelque peu hébété sur le pas de
l’annexe, entendit des hurlements provenant
du Castillet, plus précisément de la chambre d’Aude. Il y trouva Adèle
en pleine crise de nerfs, si perturbée qu’elle en oublia un instant qu’elle
avait interdit à Pierre de la revoir.
- Mais quelle garce, quelle
garce ! Dans la nuit j’ai été réveillée par le bruit du moteur de la
Panhard…
- Quoi, ma voiture ?
- Évidemment, Aude est partie
avec.
- Ne t’inquiète pas elle va
revenir, nous allons tous nous réconcilier, ce qui s’est passé hier doit être
oublié, viens je vais te reconduire dans
ta chambre. Adèle épuisée se laisse mener, puis ses hurlements reprennent de
plus belle :
- Mon coffret a disparu, il
était encore là hier après midi, mon coffret ! Tous mes bijoux et tout l’argent pour les dépenses
du mois ! Et tu dis qu’elle va revenir, qu’il faut oublier !
Jamais ! Mais d’abord qu’est ce que tu fais là ? Je t’interdis de
revenir ici, même si je suis moribonde.
Depuis cette crise un étrange
mode de vie s’installa. Adèle mortifiée se calfeutrait dans ses appartements,
ne voulait voir personne. Pierre vivait dans l’annexe, il y recevait une
clientèle raréfiée, sortant pour prendre ses repas dans un modeste restaurant
de la place du Monument aux Morts. En ville le scandale s’était apaisé mais le
docteur ne pouvait ignorer les changements d’attitude de ses amis notables. (Certains
avaient beaucoup plus à se reprocher mais avaient eu la chance de ne pas se
faire attraper). Pierre était surtout malheureux d’avoir perdu si bêtement
femme et fille. L’attitude de Sacha était très ambiguë. Il était triste avec un
air de reproche quand il prenait ses repas avec sa mère qui l’accablait d’une
tendresse qu’il ne partageait pas. Il ne venait voir son père que s’il y était
invité. Il s’absentait souvent, parfois quelques jours, il revenait très excité
en restant secret sur ses activités.
Par la cuisinière Pierre apprit qu’Adèle, sans
l’en avertir, s’était retirée au couvent des Bénédictines. Son chagrin fut
immense. Il en parla avec Sacha, qui se trouvait maintenant seul au
Castillet lequel lui assura avoir été toujours en rapport avec Aude tout
en refusant de lui fournir le moindre
renseignement. Pierre voyait que de nombreux
jeunes visiteurs fréquentaient la maison mais il n’était jamais invité. Pierre
aurait voulu partager avec son fils, comme avec ses amis au café, ses craintes
par rapport aux événements dramatiques qui avaient lieu en Europe tout cet été
1939 mais Sacha était de plus en plus souvent absent. Pierre se sentait vieux,
avait besoin qu’on le rassure, qu’on lui confirme que la guerre qu’il avait
vécue était bien la « der des ders »…
Vers la fin du mois d’Août il
constata que les volets étaient fermés, le Castillet déserté. Intrigué Pierre
poussa la lourde porte d’entrée restée ouverte. La grande salle à manger avait
à l’évidence servi de salle de réunion, la longue table était recouverte de
verres sales, de cendriers débordant de mégots. Ça et là trainaient des cartes
du nord et de l’est de la France. Pierre se refusait à admettre l’évidence,
pourtant horrifié, il ne put que s’y résoudre à la lecture de quelques tracts
d’inspiration nazie et de maquettes de drapeaux
à l’aigle impérial oubliés sur la desserte. Deberre sortit en titubant. Son
fils parti rejoindre les assassins de la Pologne. Rien ne lui aura été épargné.
Le lendemain, entre les
frondaisons, depuis le portail, le facteur aperçût le corps de Pierre qui se
balançait sous le gros chêne.
Le même jour, partout sur les
murs des édifices publics, sous les yeux terrifiés de la population, on
placardait l’avis de Mobilisation Générale.
Estos relatos cortos, son demasiado para mi francés.
RépondreSupprimerQuelle histoire rurale passionnante ! La vie des personnes n'est jamais comme on pense qu'elle aurait dû être. C'est le destin de chacun
RépondreSupprimerA mercredi Nicole
Une vie foutue pour quelques minutes d'égarement. C'est pas juste !!
RépondreSupprimerC'est très bien écrit et raconté. Bravo Manouche !
Olá amiga, passei por aqui para desejar-lhe uma
RépondreSupprimerabençoada semana.
Doce abraço, Marie.
La cultura forma una parte muy importante de tu manera de actuar
RépondreSupprimerJ´adore ton écriture, elle est fraîche.
RépondreSupprimerEt ouais, en une seconde, la vie... peut tout chambouler.
Bizz, Manou.