dimanche 12 mars 2017

Il est sept heures




Ma cuisine est noire, froide. Par la porte-fenêtre la lumière lointaine, très haut, derrière une vitre nue, m’accueille comme tous les matins, même le dimanche. C’est un luminaire  mural, vraisemblablement dans  une cuisine. Il est où cet appartement ? Forcement à la quatrième droite au dernier étage du petit collectif. Sa distance, en biais, à vol d’oiseau ? Au dessus de deux toits plats, de trois jardinets et de la petite route, soixante, quatre vingt mètres ? De l’occupante (j’ai décidé que c’était une femme) je n’entrevois que la tête et le buste au dessus de la rambarde du balcon. Pendant que je prépare mon petit déjeuner je la vois aussi aller et venir dans la lumière jaune entre les murs et la table. Maintenant je n'aperçois plus que sa tête, elle est assise : nous déjeunons ensemble. Depuis combien de temps ? Des années sans doute si je me base sur toutes les fois où j’ai vu clignoter contre la vitre les ampoules multicolores dessinant un arbre de Noël… Elle éteint en même temps que moi sa lumière dès que le jour est assez clair. Je ne la vois plus jusqu’au lendemain. Où va-t-elle ? Où travaille t-elle ? Je lui invente des occupations bizarres, des professions rares. Peu importe pourvu qu’elle allume demain matin. Elle est seule comme moi.  Seule ? En fait je n’en sais rien. Pour la première fois, dimanche dernier, une silhouette arrivée du fond de la cuisine s’est jointe à elle, plus grande, plus large. Un homme ? Bien sûr, un homme. Le samedi, la veille, ils ont dû aller au restaurant, puis au cinéma, amoureux bien sûr et il a passé la nuit chez elle. Cela me fait vraiment plaisir. J’espérais revoir leur double image, en vain. L’affaire d’une nuit ? Cette exception à part c’est toujours le même cérémonial du matin et mon soulagement de la savoir là, fidèle, rassurante dans son halo lumineux. Ce serait tellement facile de la connaitre. Quelques pas dans la rue, l’entrée de l’immeuble, la lecture des boites aux lettres… Peut être que je me présenterais, peut être qu’elle sourirait, peut être qu’elle  me dirait qu’elle est heureuse de me retrouver tous les matins, au loin, en bas, derrière ma fenêtre ? Peut être serait-ce une affreuse mégère qui irait jusqu’à m’accuser de l’espionner ? Peut être serait-ce un vieux type grossier qui me déclarerait boire le matin dans sa cuisine, à la place du thé que j’imaginais, le petit blanc qui réveille ?
Peut-être ? Je ne saurais jamais.

7 commentaires:

  1. trop amoureux pour rester ensemble, c'est plausible. Les solitudes additionnées ne s'annulent pas, elles se composent tout au mieux.
    Bzzz...

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  2. Peut-être, peut-être .. qui sait .. tout est possible ..
    Una abraçada manouche..

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  3. La vie réserve toujours des surprises. Je raffole de ce genre de situation :)

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  4. Quelquefois on vit avec des rêves qu'il vaut mieux garder à l'état de rêve, la réalité peut s'avérer bien cruelle
    Amicalement
    Claude

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  5. On passe des années à côté de certaines personnes sans les connaître. C'est mon cas pour certains voisins.

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  6. merci de ce brin printanier d'écriture même si le sujet parle de chose beaucoup touchante de l'âme de notre petite narratrice
    superbe fleurs fragment d'écriture.Toujours ton écriture précise , ciselée
    j'adore beau sujet. je t'embrasse

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  7. On communique plus facilement avec le net
    "la fête des voisins" en mai prochain permettra de nouvelles rencontres proches de chez soi.
    A nos pinceaux mercredi. Nicole

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