- Bonjour Cora, nous en étions restées « à la cabane au
fond du jardin »…
- Tu confonds avec la chanson de Cabrel ! La notre
était dans un coin de la cour en cailloux blancs qui s’étendait devant la
maison. Au fait, je dois comprendre que certains détails te soient difficiles à
réaliser. Ainsi, si nous avions eu la possibilité de prendre des photos, tu aurais dit : Mais c’est une maison
actuelle. Façade coquette, belle porte vernie et celle plus modeste de la cuisine.
On allait de cette porte à la pompe en
passant sous la tonnelle de rosiers et de mimosas. L’intérieur était mieux que
propre, coquet, avec de vieux meubles luisants et des rideaux d’organdi empesés
et tu penserais : c’est comme maintenant ! Bon- mais imagine les
« accessoires » : ni électricité, ni eau, ni radio, ni téléphone.
Nous nous éclairions à la lampe à pétrole avec sa mèche fumeuse…Et le
chauffage ! La cuisinière dans la cuisine et la cheminée dans la salle.
Nous allions nous coucher chacun avec sa brique chaude. Parfois, comme les
riches, on bassinait le lit avec le « moine » en cuivre plein de
charbons ardents. La lessive se faisait à la cendre et les produits d’entretien
se résumaient à du savon noir, de l’alcool à brûler et du vinaigre blanc!
-C’était vraiment… dépouillé d’où la cabane je
suppose ?
- Quand tu ouvrais la porte en planches qui grinçait sur ses
gonds tu montais deux marches et te trouvais devant une estrade percée d’un
trou circulaire fermé d’un lourd
couvercle de bois. Sur les parois, pendant à des clous, la belle littérature
des années passées. L’épais almanach de la « Manufacture d’armes et
cycles de saint Étienne » très instructif avec de belles illustrations voisinait
avec « Le Chasseur Français », qui vantait des produits variés par exemple « le
filet de nuit pour garder en forme une belle moustache » ! Avant tout
nous nous régalions avec les pages de « l’Almanach Vermot » et
ses blagues quotidiennes auprès desquelles celles de tes carambars font figure
de poèmes charmants ! Nous n’avions pas beaucoup d’occasions de rire. Ce
qui était encore beaucoup moins drôle, c’était quand ,périodiquement, il fallait
aller vider l’énorme seau caché sous le trône. Pour mon élégant grand-père c’était évidemment
travail de femme. Nous attrapions, pliées en deux sous le poids, les larges
anses de la « comporte », et, Génie et moi, à petits pas, partions en
apnée le long de l’allée du jardin qui menait, loin, très loin, à la fosse à engrais.
- Je pense qu’après cela vous aviez envie d’une bonne
douche ?
- Il fallait d’abord pomper beaucoup d’eau. J’ai encore le
souvenir douloureux, l’hiver, de mes doigts gonflés d’engelures violacées collés
sur le levier glacé en fonte rugueuse. Je pesais de tout mon poids, léger, et
manquais défaillir quand cette garce se désamorçait en me faisant
décoller ! Puis il fallait allumer le feu et faire chauffer l’eau dans de grandes bassines, la transvaser dans un
arrosoir, la porter jusqu’au vaste hangar à peintures du grand père qui abritait le tub en zinc où nous faisions
« la grande toilette ».
- Ne me dites pas que vous étiez heureux quand même !
- Je crois que personne ne se posait la question ni pouvait
même imaginer qu’on parlerait un jour du « droit au bonheur ». On
était heureux quand il n’y avait pas de guerre, pas d’épidémie, que le fleuve
ne débordait pas, que la neige ne persistait pas, que les récoltes n’étaient
pas dévastées. On était heureux en creux mais il y avait pour chacun une somme
de joies simples. Les multiples bals et concerts en plein air, la lecture, la
vie en famille, toutes les occasions de réunions amicales au rythme des saisons
et des moissons. Très près de la nature nous profitions du printemps, des
marches dans les bois, des baignades
dans le fleuve…
-J’aimerais que vous finissiez de me parler de Génie.
-Elle était un peu à part dans sa génération n’hésitant pas
à porter les pantalons blancs à pont, surtout pour aller aux champignons, que
ses fils tous deux dans les « Messageries Maritimes » lui ramenaient
de leurs voyages au long cours. mes oncles
adoraient cette musique de sauvages, comme on disait à la campagne et je
les entends encore fredonner ce qui plus tard seront des tubes de jazz.
Embarqués dans la maîtrise de la compagnie ils avaient choisi les traversées vers la Chine et le Japon. Après de longues semaines en mer ils rapportaient des porcelaines translucides, des pièces de soie sauvage, des colliers de perles de culture. Le pantalon de marin, était pardonné à Génie qui arrosait tout le voisinage avec ces merveilles dont personne n’avait idée de leur grande valeur. Sur les genoux de mes oncles j’écoutais leurs merveilleux récits, les péripéties de ces voyages interminables, les exigences des richissimes passagers, les merveilles entrevues aux escales, les beautés du Japon, les pieds torturés des chinoises, les fumeries d’opium…Il y avait sur chacun de ces navires luxueux un orchestre « nègre »
Embarqués dans la maîtrise de la compagnie ils avaient choisi les traversées vers la Chine et le Japon. Après de longues semaines en mer ils rapportaient des porcelaines translucides, des pièces de soie sauvage, des colliers de perles de culture. Le pantalon de marin, était pardonné à Génie qui arrosait tout le voisinage avec ces merveilles dont personne n’avait idée de leur grande valeur. Sur les genoux de mes oncles j’écoutais leurs merveilleux récits, les péripéties de ces voyages interminables, les exigences des richissimes passagers, les merveilles entrevues aux escales, les beautés du Japon, les pieds torturés des chinoises, les fumeries d’opium…Il y avait sur chacun de ces navires luxueux un orchestre « nègre »
- Et que chantait-on autour de vous ?
- On s’exerçait sur les feuillets doubles, paroles, musique
et portrait de l’artiste après avoir
entendu les chanteurs des rues. C’étaient surtout de tristes complaintes. Je me
souviens d’avoir été incapable d’écouter jusqu’au bout « Les roses
blanches » que Génie chantait au
bord des larmes. Oh ! tiens, par contre j’en ris encore. Il y avait une
chanson très populaire qui parlait d’une jeune ouvrière engrossée par le patron
et le refrain bêlait : … « Et sa mère de trembler et vous
la comprendrez si vous avez aimé ». Nous, les enfants, pouffions à ce
début de phrase à la malencontreuse sonorité.
- Génie ne devait pas avoir souvent envie de chanter ?
- Pourquoi ? Elle était très gaie. D’ailleurs les gens
chantaient beaucoup et j’ai la nostalgie des rues égayées par les sifflets des
ouvriers du bâtiment, des colporteurs, repasseurs de couteaux, vitriers, gardes champêtre, facteurs…
Le cours de la vie de Génie a changé quand un ministre de la
République retiré sur ses terres, plutôt sur celles de la mirifique dot de sa
femme a eu l’idée « d’acheter » ses compétences. Infirmière et
cuisinière à temps plein chez l’opulent
politique et son épouse, ma grand-mère, déjà d’âge canonique, vivait chez eux
jour et nuit. Elle avait obtenu la
permission d’amener ma mère, la seule enfant encore auprès d’elle, lui offrant
ainsi d’autres possibilités de développement personnel.
Mais
ceci est une autre histoire.
C'est pas si vieux, finalement... ou c'est moi qui le suis...
RépondreSupprimerJ'en ai connu de ces trucs... la littérature au chiottes empalée à un crochet... et puis chez mon nonon, c'était pas au fond du jardin, mais entre deux vaches.... et les chansons en feuillets doubles, j'en ai encore une pile... et les Roses Blanches et pire encore Mon Vieux Pataud!!! Les chansons c'était dans les ateliers... Si je pouvais retrouver le Fils-Père!!! Tiens j'y vais....
L'histoire du puits me fait penser à certaines anecdotes que ma mère m'a rapportées sur la vie de mes grands-mères campagnardes... Mais si l'une était rieuse et a vécu longtemps, l'autre était usée et est morte à 50 ans. Je l'ai à peine connue et j'en garde un souvenir sévère, juste adouci par une ou deux scènes de complicité. Mais la vie ne leur avait pas fait de cadeau et la plus gentille, la moins armée, n'a pas eu la chance de vivre assez vieille pour connaître un peu de confort...
RépondreSupprimerJ'ai bien aimé lire ce texte, gai, malgré tout! Merci!
Interesante relato; muy ameno ye entretenido.
RépondreSupprimerUn abrazo.
Mais qu'est-ce que tu vas raconter là, c'est ma maison que tu décris, pas de chauffage ni d'électricité, pas de frigo, pas de télé. Je me demande pourquoi c'est frisquet…
RépondreSupprimerFaut pas flaire attention à ces que j'écris, je crois que j'ai perdu la boule dans le dernier siècle. Et si ce n'était que la boule…
Allez, un sourire pour toi ! C'était fort bien écrit. :-)))
Les aventures de voyages sans fin, comme votre passion pour l'art
RépondreSupprimerFélicitations
Tout cela me rappelle les vacances chez mon arrière grand mère, il y a bien longtemps. Le seul ravitaillement en eau était constitué par une source , située à trois cent mètres du jardin. L'eau arrivait par une rigole qui traversait un pré pour s'écouler dans un grand bac. Dans le pré paissaient des vaches qui parfois mettaient leurs sabots dans la rigole , empêchant l'eau de couler. Alors nous partions avec une binette pour trouver l'endroit où l'eau s'arrêtait et nous rétablissions la circulation.
RépondreSupprimerTus escritos son todos muy practicos y buenos para tus lectores
RépondreSupprimerAh ces waters de fortune je les ai fréquentés... Et puis aussi le cuvier vidé au jardin pour donner un compost très riche !!!
RépondreSupprimerMerci Manouche pour cette belle littérature !
BISOUS
La ffotografia la realicé en un barrio de Buenos Aires
RépondreSupprimerLa naturaleza nos puede ofrecer muchas maravillas,lastima que nos la estamos matando
RépondreSupprimerLes roses blanches m'ont fait pleuré aussi et pour moi cela reste lié à Berthe Sylva.
RépondreSupprimerTu m´as fait penser à L´Auvergnat de Brassens...
RépondreSupprimerBizz, Manou.
Et ces temps semblent si loin....
RépondreSupprimerBisous