mercredi 16 janvier 2019

Chapitre II


C’étaient toujours des discussions entre hommes. Les sujets sérieux n’étaient pas du domaine des femmes qui avaient bien d’autres préoccupations. Adèle, comme sa mère lui avait appris, était une parfaite maîtresse de maison, faisait honneur à son époux par sa conduite parfaite et quand à son bras, elle arborait avec élégance et modestie les dernières créations de Poiret qui dévoilaient ses jolis mollets gainés de fin coton blanc. Elle aussi avait ses pauvres et se dévouait, sans abandonner ses gants de filoselle immaculés, auprès de Monsieur le curé pour venir en aide auprès des plus nécessiteux. Quand à sa vie  de couple…L’éducation sexuelle d’Adèle avait été parfaite pour l’époque. Elle ne connaissait pas son corps encore moins celui de son futur époux.  Madame de Coulange mère lui avait expliqué avec un minimum de mots et un maximum de gêne :
- Mon enfant il ne faut pas avoir peur de la nuit de noces puisque tu épouses un homme « bien ».
-Est-ce douloureux ?
- Oui, la première fois mais tu verras on s’habitue vite, sois docile avec ton époux et si le temps te parait long  dis toi que tu remplis ton devoir conjugal pour le plaisir de ton mari. Quoiqu’il en soit c’est comme cela que tu auras des enfants.
 Et voilà. C’est ainsi que Pierre, après qu’Adèle eut fait ses prières  sur le prie-Dieu en velours, la rejoignait, dans le lit conjugal. Enfouie dans des flots de dentelle elle l’attendait, souriante et inerte…Certes elle ne se plaignait jamais de migraine mais Pierre, pendant qu’il l’honorait, ne pouvait ignorer son regard absent tourné vers le crucifix mural et son doux corps insensible. Comme il aurait aimé qu’elle s’anime sous le plaisir qu’il était tellement désireux de lui donner ! Enfin, résigné, il savait qu’on ne peut tout avoir dans la vie, ce temps de paix tout neuf procurait d’autres satisfactions que Pierre, échappé de l’enfer de la guerre, savait goûter à leur juste valeur.
Maintenant les survivants prenaient leur plaisir avec une gourmandise qui se voulait oublieuse de ces quatre années dramatiques. Chaque jour la modeste station  thermale inventait des divertissements inédits : création d’un golf a dix huit trous, d’un stade sportif avec six courts de tennis, édification d’un kiosque à musique où se produisait l’Harmonie Municipale, ouverture d’un Casino avec ses mirifiques jeux d’argent, salles de cinéma en velours cramoisi, dancing élégant où officiait au bénéfice des esseulées, en tout bien tout honneur Tino le « danseur mondain »…Les propriétaires de la source thermale et de l’Etablissement de soins prenaient conscience de l’importance de la publicité et draguaient la clientèle aisée des femmes souffrant des maladies spécifiques à leur sexe. Quelques célébrités y ayant recouvré la santé avaient aussi donné au luxueux hôtel du Parc où résidaient des vedettes de la scène et des sommités du monde politique un renom plus que national. Quelle résurrection !
Le docteur Deberre et sa ravissante épouse  se félicitaient de vivre dans ce petit paradis, miraculeux dans une grosse bourgade qui n’excédait pas les sept mille habitants ! Le cabinet  du docteur ne désemplissait pas laissant la place des « culs  terreux », comme disait  le père de Coulange, à une riche clientèle  en majorité féminine. Tous les soirs, le docteur se délassait dans le salon privé du Casino où il jouait au bridge avec le notaire, le pharmacien et le directeur de la Poste. Il s’adonnait au golf, au tennis. De son côté Adèle,  qui avait fait couper ses cheveux suivant la toute nouvelle mode « à la garçonne »,  passait beaucoup de temps chez sa « couturière à façon » capable de réaliser les derniers modèles des magazines. L’audace vestimentaire de la jeune femme éblouissait quand elle promenait dans le Parc avec ses fourreaux étroits ceinturés sur les hanches d’un lien de satin.
 Il ne manquait rien au bonheur du jeune couple si ce n’est l’enfant espéré. Ce « si ce n’est » obscurcissait tout le reste. Dans leur désir pathologique de descendance les de Coulange s’impatientaient. Deberre, médecin était bien placé pour savoir que sa femme était normalement constituée, était ce de lui que venait le problème ? Adèle s’énervait que ses amies, dans son dos, raillent son échec dans le rôle reproducteur.
- Alors, petite madame, c’est pour quand un joli bébé ? Les mois passaient et si Deberre se moquait des sous- entendus offensants, son naturel chaleureux souffrait de ce manque d’enfant.
Un beau jour le jeune couple partit en voyage et revint d’on ne savait où, avec tout sourires, deux nourrissons jumeaux, un petit garçon et une petite fille.
La mode n’était pas aux interrogatoires  les questions que tout un  chacun se posait restaient informulées. On se contentait de se réjouir pour eux de ce bonheur évident, même si son origine restait mystérieuse et à féliciter Adèle poussant dans le Parc un double landau luxueux.
Où étaient-ils allés chercher ces petites merveilles que chacun voulait voir de près ? On apprit, le jour du somptueux double baptême, que le petit garçon s’appelait Sacha et la petite fille Aude. Dans ce sud gasconnant on n’avait jamais vu pareilles blondeurs et des yeux d’un azur si clair ! Au début quelques langues vipérines sifflaient : « comme ils ressemblent à leur maman », mais le temps passant cette remarque voulue méchante s’avérait une douce réalité. Le père, la mère et leurs enfants fusionnaient dans la même tendresse.




2 commentaires:

  1. Aurait elle fautée ? Ou alors déjà quelques manipulations ?

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  2. Ce qui doit être logique, naturel et bien vu, c'est d'être heureux et avec les enfants. Ils font partie de la vie ..
    Una abraçada manouche..

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