C’étaient toujours des
discussions entre hommes. Les sujets sérieux n’étaient pas du domaine des
femmes qui avaient bien d’autres préoccupations. Adèle, comme sa mère lui avait
appris, était une parfaite maîtresse de maison, faisait honneur à son époux par
sa conduite parfaite et quand à son bras, elle arborait avec élégance et
modestie les dernières créations de Poiret qui dévoilaient ses jolis mollets
gainés de fin coton blanc. Elle aussi avait ses pauvres et se dévouait, sans
abandonner ses gants de filoselle immaculés, auprès de Monsieur le curé pour
venir en aide auprès des plus nécessiteux. Quand à sa vie de couple…L’éducation sexuelle d’Adèle avait
été parfaite pour l’époque. Elle ne connaissait pas son corps encore moins
celui de son futur époux. Madame de
Coulange mère lui avait expliqué avec un minimum de mots et un maximum de
gêne :
- Mon enfant il ne faut pas
avoir peur de la nuit de noces puisque tu épouses un homme « bien ».
-Est-ce douloureux ?
- Oui, la première fois mais tu
verras on s’habitue vite, sois docile avec ton époux et si le temps te parait
long dis toi que tu remplis ton devoir
conjugal pour le plaisir de ton mari. Quoiqu’il en soit c’est comme cela que tu
auras des enfants.
Et voilà. C’est ainsi que Pierre, après
qu’Adèle eut fait ses prières sur le
prie-Dieu en velours, la rejoignait, dans le lit conjugal. Enfouie dans des
flots de dentelle elle l’attendait, souriante et inerte…Certes elle ne se
plaignait jamais de migraine mais Pierre, pendant qu’il l’honorait, ne pouvait
ignorer son regard absent tourné vers le crucifix mural et son doux corps
insensible. Comme il aurait aimé qu’elle s’anime sous le plaisir qu’il était
tellement désireux de lui donner ! Enfin, résigné, il savait qu’on ne peut
tout avoir dans la vie, ce temps de paix tout neuf procurait d’autres
satisfactions que Pierre, échappé de l’enfer de la guerre, savait goûter à leur
juste valeur.
Maintenant les survivants prenaient
leur plaisir avec une gourmandise qui se voulait oublieuse de ces quatre années
dramatiques. Chaque jour la modeste station
thermale inventait des divertissements inédits : création d’un golf
a dix huit trous, d’un stade sportif avec six courts de tennis, édification
d’un kiosque à musique où se produisait l’Harmonie Municipale, ouverture d’un
Casino avec ses mirifiques jeux d’argent, salles de cinéma en velours cramoisi,
dancing élégant où officiait au bénéfice des esseulées, en tout bien tout
honneur Tino le « danseur mondain »…Les propriétaires de la source
thermale et de l’Etablissement de soins prenaient conscience de l’importance de
la publicité et draguaient la clientèle aisée des femmes souffrant des maladies
spécifiques à leur sexe. Quelques célébrités y ayant recouvré la santé avaient
aussi donné au luxueux hôtel du Parc où résidaient des vedettes de la scène et
des sommités du monde politique un renom plus que national. Quelle
résurrection !
Le docteur Deberre et sa
ravissante épouse se félicitaient de
vivre dans ce petit paradis, miraculeux dans une grosse bourgade qui n’excédait
pas les sept mille habitants ! Le cabinet
du docteur ne désemplissait pas laissant la place des « culs terreux », comme disait le père de Coulange, à une riche clientèle en majorité féminine. Tous les soirs, le
docteur se délassait dans le salon privé du Casino où il jouait au bridge avec
le notaire, le pharmacien et le directeur de la Poste. Il s’adonnait au golf,
au tennis. De son côté Adèle, qui avait
fait couper ses cheveux suivant la toute nouvelle mode « à la garçonne »,
passait beaucoup de temps chez sa « couturière à façon » capable de
réaliser les derniers modèles des magazines. L’audace vestimentaire de la jeune
femme éblouissait quand elle promenait dans le Parc avec ses fourreaux étroits
ceinturés sur les hanches d’un lien de satin.
Il ne manquait rien au bonheur du jeune couple
si ce n’est l’enfant espéré. Ce « si ce n’est » obscurcissait tout le
reste. Dans leur désir pathologique de descendance les de Coulange
s’impatientaient. Deberre, médecin était bien placé pour savoir que sa femme
était normalement constituée, était ce de lui que venait le problème ?
Adèle s’énervait que ses amies, dans son dos, raillent son échec dans le
rôle reproducteur.
- Alors, petite madame, c’est
pour quand un joli bébé ? Les mois passaient et si Deberre se moquait des
sous- entendus offensants, son naturel chaleureux souffrait de ce manque
d’enfant.
Un beau jour le jeune couple
partit en voyage et revint d’on ne savait où, avec tout sourires, deux nourrissons
jumeaux, un petit garçon et une petite fille.
La mode n’était pas aux
interrogatoires les questions que tout
un chacun se posait restaient informulées.
On se contentait de se réjouir pour eux de ce bonheur évident, même si son
origine restait mystérieuse et à féliciter Adèle poussant dans le Parc un
double landau luxueux.
Où étaient-ils allés chercher
ces petites merveilles que chacun voulait voir de près ? On apprit, le
jour du somptueux double baptême, que le petit garçon s’appelait Sacha et la
petite fille Aude. Dans ce sud gasconnant on n’avait jamais vu pareilles
blondeurs et des yeux d’un azur si clair ! Au début quelques langues
vipérines sifflaient : « comme ils ressemblent à leur
maman », mais le temps passant cette remarque voulue méchante s’avérait
une douce réalité. Le père, la mère et leurs enfants fusionnaient dans la même
tendresse.
Aurait elle fautée ? Ou alors déjà quelques manipulations ?
RépondreSupprimerCe qui doit être logique, naturel et bien vu, c'est d'être heureux et avec les enfants. Ils font partie de la vie ..
RépondreSupprimerUna abraçada manouche..