Depuis cette crise un étrange
mode de vie s’installa. Adèle mortifiée se calfeutrait dans ses appartements,
ne voulait voir personne. Pierre vivait dans l’annexe, il y recevait une
clientèle raréfiée, sortant pour prendre ses repas dans un modeste restaurant
de la place du Monument aux Morts. En ville le scandale s’était apaisé mais le
docteur ne pouvait ignorer les changements d’attitude de ses amis notables. (Certains
avaient beaucoup plus à se reprocher mais avaient eu la chance de ne pas s’être
fait attraper). Pierre était surtout malheureux d’avoir perdu si bêtement femme
et fille. L’attitude de Sacha était très ambiguë. Il était triste avec un air
de reproche quand il prenait ses repas avec sa mère qui l’accablait d’une
tendresse qu’il ne partageait pas. Il ne venait voir son père que s’il y était
invité. Il s’absentait souvent, parfois quelques jours, il revenait très excité
en restant secret sur ses activités.
Par la cuisinière Pierre apprit qu’Adèle, sans
l’en avertir, s’était retirée au couvent des Bénédictines. Son chagrin fut
immense. Il en parla avec Sacha, qui se trouvait maintenant seul au
Castillet lequel lui assura avoir été toujours en rapport avec Aude tout
en refusant de lui fournir le moindre
renseignement. Pierre voyait que de nombreux
jeunes visiteurs fréquentaient la maison mais il n’était jamais invité. Pierre
aurait voulu partager avec son fils, comme avec ses amis au café, ses craintes
par rapport aux événements dramatiques qui avaient lieu en Europe tout cet été
1939 mais Sacha était de plus en plus souvent absent. Pierre se sentait vieux,
avait besoin qu’on le rassure, qu’on lui confirme que la guerre qu’il avait
vécue était bien la « der des der »…
Vers la fin du mois d’Août il
constata que les volets étaient fermés, le Castillet déserté. Intrigué Pierre
poussa la lourde porte d’entrée restée ouverte. La grande salle à manger avait
à l’évidence servi de salle de réunion, la longue table était recouverte de
verres sales, de cendriers débordant de mégots. Ça et là trainaient des cartes
du nord et de l’est de la France. Pierre se refusait à admettre l’évidence,
pourtant horrifié, il ne put que s’y résoudre à la lecture de quelques tracts
d’inspiration nazie et de maquettes de drapeaux
à l’aigle impérial oubliés sur la desserte. Deberre sortit en titubant. Son
fils parti rejoindre les assassins de la Pologne ! Rien ne lui aura été
épargné.
Le lendemain, entre les
frondaisons, depuis le portail, le facteur aperçût le corps de Pierre qui se
balançait sous le gros chêne.
Le même jour, partout sur les
murs des édifices publics, sous les yeux terrifiés de la population, on
placardait l’avis de Mobilisation Générale.
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La vie provinciale….Ses façades, ses secrets. J'ai beaucoup aimé ton texte. Bravo !
RépondreSupprimerHistoire intéressante, c'est la vraie vie ..
RépondreSupprimerUna abraçada manouche..
C'est une histoire vraie que les 'anciens" citaient chaque fois à propos des "dangers de l'adoption"...
RépondreSupprimerC'est bien te revoilà repartir dans les chaitres , nous aimaons je l'ai copié et je te ferai un retour plus tard , je t'embrasse. les mots comme ont les aime.
RépondreSupprimerje t'embrasse