- C’est gentil de m’avoir amené ces belles pêches. Elles étaient amères l’été
1939 quand je les croquais en lisant affiché sur le mur de la mairie l’ordre de
Mobilisation Générale. J’étais au premier rang d’une foule d’adultes muets de
consternation.
- Tous les pourparlers politiques avortés des années
précédentes auraient pourtant dû les
alerter.
- Bien sûr, les gens avaient peur mais se maintenait la
croyance que la guerre 14-18 était « la der de der » et jusqu’à
l’envahissement de la Pologne personne ne voulait croire dans la possibilité
d’un autre conflit.
- Dans le sud vous étiez moins exposés comment avez- vous
réagi ?
- D‘abord au choc de la défaite : comment était –ce
possible ? Les chefs de guerre étaient donc des incapables ? Et nos
« vaillants soldats » prisonniers en masse ? Et la population
civile n’était plus épargnée ? Je pense que l’esprit critique s’est vraiment
développé à ce moment, la presse et la radio fortement remises en question, on
savait, impuissants, que ce n’était pas de l’information mais de la propagande.
Le début du manque de foi dans les politiques et les militaires : on n’y
croyait plus.
C’est vrai que dans le sud nous n’avons pas subi les
bombardements. Nous en avons eu particulièrement conscience au moment de l’Exode. Cette horde
de malheureux, pauvres gens qui avaient subi de véritables déluges de bombes
faisant de nombreuses victimes parmi femmes et enfants. Les rescapés des
bombardements se retrouvaient sans toit, ayant perdu tous leurs biens et ne pensant qu’à fuir cet enfer. Triste
cortège ininterrompu de véhicules hétéroclites se trainant sur les routes, direction sud, cortège de fuyards pathétiques, affamés, se terrant dans
les fossés quand l ‘aviation ennemie, en rase-motte les tirait comme des lapins.
Mes parents avaient avant la guerre habité la Normandie, à
Goderville près d’Yvetot, c’est dans ce gros bourg qu’ils faisaient leurs
courses et s’étaient fait des amis. Ils fréquentaient un couple de pharmaciens
qui tenaient leur officine avec leur
fille aînée, la cadette vivant de son art, la peinture. J’étais alors un bébé mais plus tard j’ai toujours
entendu parler de la famille Jacob en particulier des « Demoiselles
Jacob » qui, plus tard m’étaient
données en exemple. Mes parents entretenaient avec elles une correspondance suivie.
Quelle a été leur surprise de voir arriver dans une voiture poussive et
délabrée « les Demoiselles Jacob » ! Elles avaient mis des semaines de misère sous les bombardements pour venir se réfugier dans le Béarn et se trouvaient
dans une grande détresse venant chercher
asile et réconfort près de nous. Lors de la grande vague de pilonnage ennemi
sur Rouen leurs parents avaient été ensevelis
avec tous leurs biens sous les décombres de leur pharmacie. Les deux
jeunes femmes avec d’autres jeunes sans abris avaient été recueillies par une
association d’aide. On leur demandait, en contre partie d’une soupe quotidienne, équipés de brouettes, de
rechercher les débris humains dans les ruines fumantes de Rouen…
- Mais c’est horrible ! Mais elles ont pu fuir
puisqu’elles avaient une voiture…
- Oui, miraculeusement préservée dans son garage et dans cet exode où elle faisait des
envieux. Elles se sont battues pour la conserver et se procurer de l’essence. Deux jeunes
femmes dans cette marée humaine où il
fallait être nuit et jour sur ses
gardes chacun luttant désespérément pour
sa survie. Elles embarquaient suivant l’urgence un vieillard, une mère avec son
bébé …
Puis l’armistice a été conclu et la France séparée en deux. Nous
nous trouvions en zone « occupée » et, de surcroit, frontalière avec
la zone « libre ». Dans notre petite ville sept mille habitants, sept
mille soldats allemands en permanence ! Comment te faire réaliser
l’horreur qui nous a saisis à l’arrivée des troupes d’occupation quand les
rangs impeccables de jeunes soldats, vainqueurs arrogants chantant à tue- tête,
ont défilé sous leur drapeau haï dans
les rues au rythme de leurs lourdes bottes noires…
- Vous sortiez de l’enfance, vous avez du avoir une
adolescence difficile.
- Tu m’amuses quand je pense au sens de cette expression
aujourd’hui. Nos difficultés étaient d’un autre ordre. Morales d’abord. Imagine
cette ambiance de défaite, cette tristesse généralisée par la vue de tous se
ces vainqueurs omniprésents qui avaient
sur nous pouvoir de vie et de mort. Et le manque, le manque de tout. Toute
notre famille se trouvait en zone libre et nous en étions séparés, sans nouvelles.
En face des réquisitions en tout genre le manque de liberté de pensée et de
mouvement, le manque de nourriture… Nous avions toujours faim. Les mères
géraient les rares tickets du
rationnement. Je me souviens des soupes d’orties, des champignons grillés et de
trop rares rutabagas…
Nous étions scolarisés dans un vaste complexe éducatif, avec
différents bâtiments, primaire garçons,
primaire filles, secondaire mixte, de grandes cours arborées et surtout un
énorme préau. Le préau a été immédiatement réquisitionné pour installer la
boulangerie des troupes. Le matin nous rentrions en classe l’estomac vide dans
une odeur de pain frais qui nous mettait
les larmes aux yeux. Sans avoir à être briffés par les adultes, mais conscients
de leur exemple, nous passions la tête haute sans un regard pour ces mitrons
qui parfois tendaient un quignon. La seule à accepter et même solliciter était
la superbe Nadia Chabaline. Nadia
faisait partie des descendants d’une
colonie de russes blancs installés au village depuis 1917. Nous avions
d’excellents rapports avec ces camarades jusqu’au jour de l’occupation ou par
haine des communistes qui avaient pris
le pouvoir dans leur pays, ils étaient devenus hitlériens. Personne ne parlait
plus à Nadia ni a ses frères, sales collabos…
- Cora vous m’avez dit un jour ne pas aimer l’Histoire et
pourtant vous l’avez vécue.
- Ce que je t’ai dit se réfère à nos premiers contacts
scolaires avec les allemands. Quand les officiers entraient dans les classes à
l’improviste, nous devions nous lever. Un jour deux de ces « vert-de-gris »
gradés nous ont demandé brutalement de
leur montrer nos manuels. Dois-je te rappeler qu’à cette époque les livres
étaient chers, rares, et que, seuls, ils étaient pour nous le seul moyen de connaître
le monde et contenaient tout son savoir ?
Nous leur vouions le plus grand respect. Les deux schleus, S.S impressionnants,
ont inspecté tous les ouvrages regardant en priorité quels en étaient les auteurs. Tout à coup, en gueulant, ils ont ramassé tous nos livres d’histoire :-«
Isaac et Mallet », juive propagande » !!!
Avec nos maîtres ravalant leur colère on nous a fait sortir
dans la cour, au milieu ils ont entassé nos chers livres et y ont mis le feu
sous nos yeux horrifiés. Quelques jours plus tard les deux mêmes boches nous
ont distribué des livres d’histoire d’auteurs allemands, traduits dans un
français de propagande. Une honte. Rends-toi compte les événements des siècles
passés vus par l’ennemi laveur de cerveaux! Au bord de la nausée nos
enseignants ont décidé d’interrompre l’apprentissage de l’histoire. Je t’assure
qu’après une telle mésaventure nos jeunes esprits n’ont pas eu besoin d’être formés à la relative vérité historique, à déceler le discours propagandiste et
considérer l’information au second degré !
- Avez-vous d’autres souvenirs scolaires ?
- Ah ! Oui ! Le fameux « Maréchal nous
voilà » que les maîtres avaient ordre de nous faire chanter et que nous
braillions en yaourt le jour où ne
pouvions invoquer d’angine rouge fictive.
Mais ce qui nous a terriblement marqués c’est le jour où
certains de nos camarades sont arrivés en
classe avec l’étoile jaune cousue sur
leurs vêtements. Elle paraissait énorme sur leurs torses enfantins. Nous ne nous préoccupions pas de l’appartenance religieuse de nos
camarades, nous cohabitions dans la plus grande tolérance, catholiques,
protestants, juifs et orthodoxes…Dans ma classe, il n’a y avait qu’une juive,
justement ma meilleure amie, Rachel.
Elle se tenait sur le seuil, honteuse, comme si elle n’était pas la victime de cet abominable ostracisme, n’osant
pas pénétrer dans la classe où nous étions déjà entrés. Je ressens encore notre
stupeur, notre incompréhension. Cette enfant charmante isolée marquée comme un
animal malade à éviter. Je ne me rappelle pas avoir réfléchi, dans un silence
pesant je suis allée la chercher et la
tenant par la main je l’ai faite asseoir à côté de moi. La vie nous a
permis de nous retrouver à différents époques et endroits et chaque fois Rachel
me serrant dans ses bras évoquait ce moment qu’elle avait perçu comme héroïque,
en me manifestant une reconnaissance un peu gênante. A propos de Rachel…
…Mon père était divorcé ce qui était une tare à l’époque.
Cela rejaillissait sur moi, doublement à
côté de la norme parce que fille unique ET de divorcé. Pensant alléger mon handicap
social et me faire rentrer dans le rang
mon père en rajoutait. Lui même athée Il avait insisté pour quel je fasse ma
communion solennelle puis que je suive le « catéchisme de persévérance » qui
était censé nous procurer quelques notions de théologie. En fait il fallait
vraiment de la persévérance pour supporter le rabâchas de la vieille fille aigrie
au cou fripé enserré dans un velours noir. Un jour elle me demande de monter
sur l’estrade, face à mes camarades, pour, je le suppose, une interrogation.
Elle prend ma place : - « mademoiselle est-il vrai que vous avez une
amie juive ? » -« OUI. » - « Alors vous devez choisir
le catéchisme ou « la juive ». J’ai
sauté de l’estrade et quitté la salle
avec un joyeux ; -« Au revoir tout le monde ! ».
Quand je suis rentrée à la maison et que
j’ai annoncé que la « persévérance » c’était fini et pourquoi, mon
père n’a eu qu’un mot : « Bravo ! ». Bien entendu je n’ai pas mis Rachel au courant de l’incident.
J’avais perdu Rachel de vue depuis des années. Un dimanche de vacances et de
retour aux sources je la rencontre dans
la rue principale, devant l’église. Embrassades fougueuses. Mariées, mamans
toutes deux nous avions mille choses à nous dire. Je veux l’entrainer sur la
terrasse du café proche « - Non, tout à l’heure, maintenant je vais à la
messe » et devant mon air ahuri elle ajoute : -« Pendant
l’occupation quand nous sommes passés en
zone libre nous avons été recueillis par un prêtre merveilleux et je me suis
convertie ». Je l’accompagne jusqu’au porche de l’église : –«Excuse
moi, je ne vais pas à la messe mais
quand elle sera finie viens me rejoindre au café, j’ai une anecdote à te
raconter »…
- L’anecdote tu la connais et je te laisse méditer sur la malédiction
des dogmes dans l’humaine destinée, pendant que, excuse moi si je te bouscule,
je file à l’aquagym.
Occupés où colonisé à une époque où les "Empires" jouaient aux "vases communiquant".
RépondreSupprimerCora se souvient et transmet, remercies la.
Bzzz...
ma chére manouche je suis très en retard sur cora est que tu pourrais m'envoyer le billet 4 5 6 7 jusqU43AU 10 S4IL TE PLAIT
RépondreSupprimerlamangou@yahoo.fr
si cela ne te dérange pas trop je reviendrait au fur et à mesure pour les imagame j'espére que tu as un éditeur car
c'est du beau travail merci d'avance
Merveilleuse histoire!!!!!!
RépondreSupprimerAvec des larmes aux yeux et en plus mes verres mouille, j´ eu difficile lire la suite
mais je lis tout. J'espère la suite avec expectation.
Bisous